Projet de loi organique relatif à l’élection des députés

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Assemblée nationale


XIIIe législature


Session extraordinaire de 2010-2011



Compte rendu 
intégral

Deuxième Séance du lundi 20 décembre 2010 

Projet de loi organique relatif à l’élection des députés

Article 1er

M. le président. Sur l’article 1er, je suis saisi d’un amendement n° 29.

La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Notre collègue Guibal, dans un amendement qui devait suivre, proposait qu’un individu condamné à une peine criminelle soit déclaré inéligible et que les personnes reconnues coupables d’un crime ne puissent du coup être candidates aux élections législatives. Mon amendement n° 29 est plus général : il tend simplement à exiger la présentation d’un casier judiciaire vierge de toute condamnation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Charles de La Verpillière, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Richert, ministre. Même avis. Ce serait aller beaucoup trop loin, en particulier eu égard à l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : cela reviendrait à interdire à vie toute candidature à certaines personnes. Or un individu ayant été condamné et ayant purgé sa peine doit pouvoir se présenter aux élections, notamment législatives.

 (L’amendement n° 29 n’est pas adopté.)

…………

 

Article 1er bis

 

M. le président. Je suis saisi d’un amendement de suppression de l’article 1er bis, n° 30.

J’indique d’ores et déjà que, sur cet amendement, je suis saisi par les groupes SRC et Nouveau Centre d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans le palais.

La parole est à M. Christian Jacob, pour le soutenir.

M. Christian Jacob. Aux termes de l’article 1er bis, une déclaration mensongère, l’omission d’une part substantielle de son patrimoine ou une erreur dans sa déclaration de revenus seraient punies de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende.

Cela nous expose à un risque, qui tient non à la peine elle-même, mais à la transformation d’une autorité administrative en autorité judiciaire : les parlementaires, et les élus de manière générale, ne doivent pas relever d’une justice d’exception.

D’autres possibilités sont clairement offertes. Une déclaration de patrimoine est transmise en début de mandat, puis en fin de mandat. Une fois fournie la déclaration d’ISF le cas échéant, ou la déclaration d’impôt sur le revenu, il est possible, comme la commission des lois en a débattu et comme nous y reviendrons tout à l’heure, de les transmettre au parquet en cas d’enrichissement a priori surprenant ou contraire à la légalité. Restons-en à cette procédure afin que les députés restent des justiciables comme les autres au lieu de relever d’un jury d’exception constitué par une autorité administrative.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Je l’ai dit au cours de la discussion générale : le groupe Nouveau Centre s’opposera avec force à l’amendement n° 30.

Comme on l’a dit tout à l’heure, l’objectif de ce projet de loi – améliorer la transparence de la vie politique – est partagé par tous, sur tous les bancs de cet hémicycle. Au sein de la commission des lois, dont de nombreux membres sont présents ce soir, nous étions parvenus à un texte d’équilibre, de consensus.

Monsieur Jacob, je combats d’autant plus ouvertement votre amendement que vous-même mentionnez explicitement dans l’exposé sommaire le fait d’omettre « sciemment » de déclarer. Or, tous les juristes le savent, l’intention est un élément constitutif de l’infraction.

Voilà pourquoi la commission était parvenue à un texte d’équilibre : nous avions expressément précisé que l’omission devait être consciente, afin d’éviter de viser le déclarant de bonne foi.

Si nous en sommes arrivés à cette rédaction, c’est parce que l’un de nos collègues – qui appartient à votre groupe, monsieur Jacob – nous a expliqué qu’une omission involontaire était possible. Nous avions été tout à fait sensibles à son intervention, particulièrement poignante : d’où l’ajout de ce « sciemment », que vous reprenez dans votre exposé sommaire.

Par cet amendement, vous déstabilisez un texte qui faisait consensus. Monsieur le ministre, nous vous l’avons dit, nous vous soutiendrons lors du vote de ce texte, dont nous approuvons la philosophie. En tout état de cause, cet amendement contient un message très négatif. Ce qui explique que, au nom du groupe Nouveau Centre, Charles de Courson et moi-même avons demandé un scrutin public sur le vote de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Charles de La Verpillière, rapporteur. À titre personnel, je ne peux qu’être opposé à cet amendement, quand bien même la commission y a émis un avis favorable lorsqu’elle l’a examiné dans le cadre de l’article 88.

Je rappelle que la loi du 11 mars 1988 a investi la commission pour la transparence financière de la vie politique de deux pouvoirs.

Premièrement, si un élu ne dépose pas les déclarations de patrimoine auxquelles il est tenu, la commission peut saisir le juge de l’élection – dans notre cas, le Conseil constitutionnel –, qui le déclare inéligible.

Deuxièmement, lorsque, en comparant les deux déclarations déposées en début et en fin de mandat, la commission constate une évolution anormale, inexplicable ou tout au moins inexpliquée, de la richesse de l’élu, elle peut saisir le parquet, qui procède alors aux investigations nécessaires afin de déterminer s’il y a eu enrichissement illégal.

Tels sont les deux seuls cas où la commission peut faire quelque chose au vu des déclarations qui lui sont transmises.

En revanche, elle est totalement désarmée lorsque l’élu lui transmet une déclaration, respectant ainsi l’obligation de base, mais en y insérant des évaluations fantaisistes de biens déclarés ou en omettant de mentionner des éléments importants de son patrimoine. Or il faut que, dans ce troisième cas comme dans les deux autres, la commission puisse réagir. Voilà pourquoi il serait tout à fait dommageable de supprimer l’article. Car dans ce cas précis d’une déclaration incomplète ou inexacte, la commission doit disposer des moyens de réagir.

Toutefois, et je partage sur ce point les motivations des auteurs de l’amendement, cette disposition ne doit s’appliquer qu’à des cas extrêmes. Voilà pourquoi, aux termes du texte qui vous est soumis, l’omission doit porter sur un élément essentiel du patrimoine, l’inexactitude de l’évaluation doit résulter d’un mensonge et l’intention frauduleuse être avérée ; en d’autres termes, il faut que les faits soient graves et que l’on ait agi sciemment. Cela ne concernera donc, je le répète, que des cas extrêmes.

Telle est l’essence de cet article, qu’il faut préserver, quitte à débattre ensuite de la sanction – pénale ou d’inéligibilité – et d’elle seule.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Richert, ministre. Monsieur le président Jacob, votre commission des lois, à la réunion de laquelle j’ai pu assister la semaine dernière, a adopté les articles 5 et 6 de la proposition de loi de MM. Warsmann et de La Verpillière.

Ces articles visent à améliorer le dispositif de déclaration de patrimoine auquel sont soumis les membres du Gouvernement, les parlementaires et les élus locaux titulaires des mandats les plus importants, sans oublier plusieurs dirigeants d’entreprises publiques.

Il s’agit plus précisément de permettre à la Commission pour la transparence financière de la vie politique de connaître de la déclaration de revenus et, le cas échéant, de fortune souscrite par les intéressés, et de prévoir une sanction pénale en cas de déclaration mensongère d’une particulière gravité.

Ce faisant, ainsi que plusieurs orateurs l’ont souligné, de même que le rapporteur, votre commission a répondu à une demande maintes fois réitérée de la Commission chargée d’examiner ces déclarations patrimoniales dans les rapports qu’elle remet et rend publics chaque année.

En effet, la commission peut aujourd’hui sanctionner celui qui ne dépose pas de déclaration de patrimoine, mais non celui qui dépose une déclaration volontairement mensongère. Il s’agit manifestement d’une lacune des lois du 11 mars 1988 et du 8 février 1995, ainsi que l’a rappelé votre collègue Dominique Perben lors de l’examen en commission.

Les dispositions applicables aux parlementaires étant de nature organique, votre commission a logiquement adopté des articles additionnels au projet de loi organique relatif à l’élection des députés ayant le même objet.

C’est ainsi que l’article 1er bis nouveau introduit la sanction pénale que j’évoquais il y a un instant. Le fait susceptible d’être réprimandé est celui « d’omettre sciemment de déclarer une part substantielle de son patrimoine ou d’en fournir une évaluation mensongère qui porte atteinte à la sincérité de sa déclaration et à la possibilité pour la commission pour la transparence financière de la vie politique d’exercer sa mission ». La sanction prévue, de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende au maximum, serait évidemment prononcée non par la commission elle-même, qui n’en a pas et qui ne saurait en avoir le pouvoir, mais par un juge.

M. Philippe Richert, ministre. Ce qui répond à l’argument selon lequel il importerait de ne pas transformer la commission en instance judiciaire.

Le dispositif ainsi proposé a semblé au Gouvernement apporter des garanties importantes afin d’éviter que l’action de la commission soit insuffisamment encadrée. Il répond par ailleurs à une position exprimée très clairement par le Premier ministre dans la lettre, évoquée lors de la discussion générale, adressée le 30 juillet 2009 au président de la commission pour la transparence financière de la vie politique, publiée au Journal officiel. M. François Fillon lui disait combien il était important de répondre à sa « préoccupation de mieux assurer la sincérité des déclarations de patrimoine » et se déclarait « favorable à ce que des sanctions puissent être prononcées à l’encontre des personnes [lui] ayant adressé sciemment des déclarations retraçant de manière fausse ou incomplète l’état de leur patrimoine ».

L’amendement proposé par M. Christian Jacob et plusieurs autres membres du groupe UMP vise à supprimer cet article 1er bis du projet de loi. Je ne peux, au nom du Gouvernement, pour les motifs que je viens d’exposer, notamment parce qu’il n’y a aucune raison de renier les termes de la lettre du Premier ministre que je viens de citer, y donner mon approbation. Toutefois, s’agissant d’une question intéressant avant tout les députés, premiers concernés par cette nouvelle disposition qui sera sans aucun doute à nouveau évoquée lors des prochaines lectures de ces textes électoraux, le Gouvernement s’en remet sur ce point à la sagesse de l’Assemblée. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

……..

M. Christian Jacob. J’ai toutefois entendu ce qui a été dit, et je veux bien comprendre qu’il soit nécessaire de maintenir une « accroche » pour cette incrimination afin de pouvoir transmettre au parquet. Finalement, l’amendement n° 38, que nous venons de rédiger lors de la suspension de séance, permet de supprimer la peine de deux ans d’emprisonnement en maintenant le reste du dispositif de l’article 1er bis. Malgré tous, je maintiens que je trouve dangereux ce dérapage qui, de fait, conduit à donner un pouvoir judiciaire à une autorité administrative.

L’amendement n° 38 qui va nous être présenté concilie les deux points de vue : il donne une accroche au parquet pour une incrimination mais c’est bien à ce dernier que revient la décision.

M. le président. Monsieur Jacob, dois-je en conclure que vous retirez l’amendement de suppression n° 30 ?

M. Christian Jacob. Je le retire.

(L’amendement n° 30 est retiré.)

 

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour présenter l’amendement n° 38 qui vient de nous être distribué.

M. Charles de La Verpillière, rapporteur. Le président Christian Jacob a dit l’essentiel sur cet amendement qui permet de conserver le caractère d’infraction pénale au dépôt d’une déclaration frauduleuse ou mensongère tout en retirant du dispositif la peine de deux ans d’emprisonnement qui était à la fois stigmatisante et probablement un peu illusoire – on sait bien que de telles peines sont rarement prononcées.

Les autres sont maintenues, que ce soit la peine d’amende ou les peines complémentaires qui sont les plus lourdes pour les élus que nous sommes puisqu’il s’agit de l’interdiction des droits civiques, qui entraîne l’inéligibilité, et l’impossibilité d’exercer une fonction publique.

………..

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Le président de notre groupe, François Sauvadet, s’exprimera dans un instant et demandera un scrutin public sur l’amendement n° 38. Pour ma part, je constate que nous progressons, puisque l’amendement de suppression de l’article a été retiré.

Monsieur Jacob, je souhaiterais que l’élaboration de la loi soit claire. Le ministre, le rapporteur, le président de la commission des lois et un certain nombre d’entre nous se sont prononcés en faveur de la création de cette incrimination, dont je rappelle qu’elle a fait l’objet d’un consensus en commission et qu’elle traduit un engagement que le Premier ministre a pris, dans une lettre publiée au Journal officiel, auprès de la commission pour la transparence financière de la vie politique. Vous avez déposé un amendement de suppression de l’article, que vous avez ensuite retiré. Je prends acte que l’incrimination est maintenue.

Permettez-moi de vous dire qu’en créant cette incrimination, nous ne permettons pas à une commission d’engager des poursuites ; nous donnons au juge un instrument juridique, qui, jusqu’à présent, n’existait pas. Ce soir, nous créons l’incrimination spécifique qui a été voulue par le Premier ministre. Par ailleurs, je rappelle que, pour éviter toute ambiguïté et contrairement à ce qui se fait généralement, nous précisons dans la loi que le député doit omettre « sciemment » une part de son patrimoine. L’intention est donc bien un élément constitutif.

Cette incrimination fait donc désormais l’unanimité. Mais vous nous proposez maintenant qu’elle soit sanctionnée par une peine d’inéligibilité, ce qui suscite notre incompréhension. Un député qui se serait enrichi et aurait fait une déclaration malhonnête risquerait simplement l’inéligibilité !

Ce n’est pas cohérent avec les dispositions que nous votons par ailleurs, et je ne comprends pas que vous ayez rédigé un tel amendement.

…..

M. le président. Sur le vote de l’amendement n° 38, je suis saisi par le groupe Nouveau Centre d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l’amendement n° 38.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 87

Nombre de suffrages exprimés 87

Majorité absolue 44

Pour l’adoption 54

Contre 33

(L’amendement n° 38 est adopté.)

 

…….

 

Article 11

M. le président. À l’article 11, je suis saisi d’un amendement de précision, n° 21, de la commission. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Richert, ministre. Sagesse.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. S’agissant d’un amendement de précision, j’aimerais obtenir, justement, quelques précisions du rapporteur pour savoir très exactement ce qu’il signifie. Les dispositions que nous avons prises quant aux déclarations de situation patrimoniale seront-elles applicables à l’occasion du dépôt, en 2012, des déclarations de fin de mandat, ou bien leur application est-elle renvoyée à la prochaine législature ? Nous pensons qu’il serait bon de ne pas renvoyer à plus tard la mise en application de ce que nous avons voté.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le rapporteur, la question posée par M. Dosière est tout à fait importante. Je parle en présence du président Jacob : nous avons eu une longue discussion, mais nous avons finalement maintenu l’incrimination pour fausses déclarations susceptibles de donner lieu à poursuites. Si, à l’occasion d’un amendement présenté à une heure et quart du matin, on vote une disposition précisant que cela ne concernera pas les députés qui ont déjà déposé une déclaration alors même qu’ils devront en faire une autre en fin de mandat, tout notre débat sera vidé de sens. Il faut que les nouvelles dispositions s’appliquent aux députés qui auront à faire une déclaration en fin de mandat. Monsieur le rapporteur, ne défaites pas tout le texte avec un seul amendement. L’interpellation de notre collègue est importante, mais je suis confiant dans votre réponse.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Charles de La Verpillière, rapporteur. Je suis en mesure de rassurer entièrement M. Dosière comme M. Hunault. Le texte ne vise pas les députés, mais les déclarations. Les députés actuels sont donc concernés par les dispositions que nous avons adoptées s’agissant du contrôle des déclarations de patrimoine et de l’éventuelle incrimination. Mais ces dispositions ne concerneront que les déclarations de patrimoine que nous allons tous déposer en fin de mandat – puis, naturellement, les déclarations déposées par les députés élus en 2012. Nous sommes tous concernés, mais seulement pour les déclarations que nous ferons après la promulgation de la loi.

(L’amendement n° 21 est adopté.)