Répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles

Catégories: Assemblée Nationale, Interventions en réunion de commission, Justice

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 29 juin 2011

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 66 

La séance est ouverte à 11 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission examine sur le rapport de M. Marcel Bonnot, le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles (n° 3373).

M. Marcel Bonnot, rapporteur de la commission des Lois. Le texte dont nous sommes saisis a été adopté par le Sénat le 14 avril, après engagement de la procédure accélérée. Il s’inscrit dans la démarche de modernisation de l’organisation judiciaire engagée par le Gouvernement depuis plusieurs années et qui se fonde sur plusieurs éminents rapports, à commencer par celui de la commission sur la répartition des contentieux présidée par le recteur Serge Guinchard, remis en juin 2008 au garde des Sceaux et qui contient 65 propositions sur l’organisation judiciaire, l’accès à la justice et la procédure, la déjudiciarisation et l’allègement des procédures.

Certaines de ces propositions avaient déjà été mises en œuvre. Ainsi, la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures a ajouté aux compétences du juge aux affaires familiales les mesures de tutelle des mineurs et a organisé la spécialisation de certains tribunaux de grande instance en matière d’adoption internationale. La loi du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires, dite « loi Béteille », a mis en place une procédure participative de négociation assistée par avocat. La loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et de certaines professions réglementées, ainsi que la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, ont repris d’autres préconisations du rapport Guinchard.

Le présent projet vise un double objectif : simplifier et rationaliser notre organisation judiciaire ; alléger certaines procédures. C’est un texte extrêmement technique, qui couvre des aspects très divers de l’activité judiciaire : juridictions de proximité, justice militaire, droit de la famille, procédures pénales simplifiées, juridictions spécialisées… Le Sénat, en première lecture, l’a largement validé et enrichi. Il a cependant refusé de simplifier la procédure de divorce par consentement mutuel en l’absence d’enfant, estimant que les deux époux devaient continuer à se présenter devant le juge aux affaires familiales. Je suis de cet avis : le divorce doit être entouré d’une certaine solennité et le passage devant le juge, d’ailleurs assez bref dans ce type d’affaires, demeure essentiel pour qu’il s’assure de la réalité du consentement des deux époux. Je vous inviterai donc à maintenir la suppression de l’article 13 du projet.

Le premier axe du texte vise à simplifier l’articulation des contentieux civils de première instance. Pour cela, il supprime la juridiction de proximité en tant qu’ordre de juridiction distinct, devenu source de complexité pour les justiciables, et rattache les juges de proximité au TGI. Il améliore aussi la répartition des contentieux entre tribunaux d’instance et de grande instance, avec une ligne de partage fondée soit sur le montant du litige, le TGI étant compétent à partir de 10 000 euros, soit sur un rattachement matériel – ainsi le contentieux douanier relèvera-t-il entièrement du TGI, qui connaît déjà du contentieux fiscal dont il est proche. Enfin, la procédure d’injonction de payer est étendue aux TGI tandis qu’une injonction de payer européenne et une procédure européenne des petits litiges sont mises en place, conformément aux exigences de la Commission et du Parlement européen.

Le second objet du texte est de regrouper certains contentieux techniques au sein de juridictions spécialisées. Il crée ainsi un pôle spécialisé en matière de crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre et actes de torture. L’ensemble des organisations de protection des droits de l’homme se réjouissent de cette disposition qui nous fait rejoindre nombre de pays européens. D’autres pôles seront compétents en matière d’accidents collectifs, afin d’améliorer l’enquête et le traitement judiciaire des grandes catastrophes, telles que celles du tunnel du Mont-Blanc, de l’usine AZF ou du mont Sainte-Odile.

Troisième axe du texte : le développement des modes alternatifs de règlement des litiges. En matière civile, il est prévu d’expérimenter pour trois ans une médiation familiale obligatoire avant de saisir le juge en vue de modifier les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Je suis toutefois d’accord avec le Sénat pour écarter cette médiation lorsqu’elle serait de nature à trop retarder le jugement au fond par le juge. En matière pénale, le texte veut développer la transaction pénale : à l’initiative du Gouvernement, le Sénat a étendu substantiellement le champ de cette procédure, en ce qui concerne le droit de la concurrence et de la consommation ainsi que le tabagisme et la commercialisation d’alcool.

Le texte vise aussi à développer les procédures pénales simplifiées que sont l’ordonnance pénale, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et l’amende forfaitaire. L’ordonnance pénale, qui est encadrée par de sérieuses garanties, est très efficace pour traiter des contentieux de masse. L’article 20 étend son champ d’application aux délits pouvant être jugés par le tribunal correctionnel statuant à juge unique, sous réserve de quelques exceptions. Par ailleurs, le recours à cette procédure est dorénavant ouvert aux victimes ayant formé une demande de dommages et intérêts. La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, créée par la loi Perben II du 9 mars 2004, s’est progressivement imposée comme un mode rapide et efficace pour juger les délits de gravité moyenne, lorsque les faits sont simples et reconnus. L’article 21 permet d’y recourir d’une part à l’issue d’une instruction et d’autre part pour tous les délits, quel que soit le niveau de la peine encourue, à l’exclusion toutefois des atteintes à l’intégrité des personnes, des menaces et des agressions sexuelles. Enfin, l’article 22 étend le champ d’application de l’amende forfaitaire aux contraventions de la cinquième classe, à l’exclusion toutefois de celles qui deviennent un délit lorsqu’elles sont commises en récidive.

Enfin, le texte s’attache à rationaliser et simplifier les règles procédurales applicables aux militaires. Le Gouvernement avait proposé deux mesures importantes : la suppression du tribunal aux armées de Paris, créé par la loi 10 novembre 1999 pour connaître des infractions commises par les membres des forces armées hors du territoire national, compétence transférée au tribunal de grande instance de Paris ; et la suppression du caractère automatique de la perte de grade à l’occasion d’une condamnation pénale. Ces mesures consensuelles parachèvent le processus, engagé en 1982, de normalisation de la justice des militaires, sans pour autant nier les spécificités de leur statut. Le Sénat, à l’initiative de sa commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, saisie pour avis, a souhaité y ajouter des mesures plus ponctuelles, notamment en matière de désertion ou d’avis des autorités hiérarchiques à l’égard de toute velléité de poursuite du parquet. Il s’agit moins d’une libéralisation que d’une clarification, assortie du renforcement de certaines spécificités.

Je vous invite donc à adopter le présent projet sous réserve des amendements que je vous présenterai, dont la plupart sont purement rédactionnels. 

……


M. Michel Hunault. De nombreuses interrogations ont déjà été exprimées sur la suppression des juges de proximité. Y avait-il urgence, alors que tout le monde s’accorde sur leur utilité ? Cette décision est-elle fondée sur des éléments précis ou résulte-t-elle plutôt d’une défiance à l’égard de ce qui fonctionne ? Par ailleurs, je vous informe que je vais retirer les amendements visant les experts judiciaires que j’allais vous présenter au nom de M. Jardé, car il a changé de position. Mais sur les juges de proximité, après examen au Sénat, le texte est encore moins clair qu’avant.

 

……

M. le rapporteur. La suppression des juridictions de proximité soulève un certain émoi – mais il ne s’agit que des juridictions, pas des juges. C’est une préconisation du rapport Guinchard. La commission sur la répartition des contentieux a en effet estimé que ce nouvel ordre de juridiction avait compliqué l’organisation judiciaire en matière civile, « conduisant à des situations qualifiées par plusieurs auteurs d’ubuesques et de kafkaïennes – en particulier lorsqu’en l’absence de juge de proximité, ses fonctions sont exercées par un juge d’instance… » Elle préconise de donner aux juges de proximité des attributions de nature à les intégrer véritablement dans le fonctionnement de la justice de première instance. Dans notre dispositif, les juges de proximité élisent domicile au tribunal de grande instance comme assesseurs et peuvent connaître de la procédure d’injonction de payer, sauf opposition. Certes, comme l’a souligné M. Perben, des problèmes de coordination peuvent se poser avec les nouveaux assesseurs citoyens. La coordination reste parfois une notion philosophique… Mais en tout état de cause, en formation collégiale, les juges citoyens ne peuvent siéger avec les juges de proximité. Ceux-ci renaissent de leurs cendres dans le contexte de la formation collégiale du TGI alors que l’Association nationale des juges d’instance n’était pas particulièrement convaincue par le dispositif proposé par le Sénat.

Pour ce qui est de la postulation en matière d’injonction de payer devant le TGI, elle est obligatoire en cas d’opposition. En revanche, l’injonction de payer pourra être déposée avec les pièces nécessaires par le créancier lui-même, dans un souci de rapidité et de coût, ainsi que par les huissiers de justice ou tout autre mandataire – à titre personnel, les sociétés de recouvrement ne me paraissent pas offrir en la matière les mêmes garanties que l’huissier ou l’avocat. Quant à la médiation familiale obligatoire, le texte prévoit une exception pour les cas où elle empêcherait que la décision soit rendue avec la rapidité attendue. C’est une mesure d’expérimentation prévue pour trois années seulement.

La CRPC est effectivement étendue à l’ensemble des délits, sauf atteintes aux personnes, menaces et agressions sexuelles. La nouveauté réside dans le fait qu’elle pourra être utilisée à l’issue d’une instruction : si les faits sont parfaitement établis et relativement simples et si la victime est d’accord, le juge d’instruction pourra renvoyer le dossier au procureur de la République. Quant à l’ordonnance pénale, son succès a été souligné par le rapport Guinchard et l’extension de son champ est une évolution nécessaire. Elle s’accompagne d’une liste d’exceptions qui constitue une soupape de sécurité.

Enfin, pour ce qui est des pôles spécialisés en matière d’accidents collectifs, le texte réussit à concilier deux éléments primordiaux : la proximité de la juridiction qui doit traiter de ces affaires et la technicité qui les caractérise. Il n’y aura pas qu’un pôle spécialisé : le TGI concerné aura compétence territoriale sur plusieurs cours d’appel, mais la notion de proximité demeure.

 

Amendement CL28 présenté par M. Hunault :

Article 1er

Supprimer les alinéas 22 et 23.