Réforme de la Représentation devant les Cours d’Appel

Catégories: Assemblée Nationale, Interventions en réunion de commission, Justice

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 23 septembre 2009

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 81

Examen du projet de loi portant fusion des professions d’avocat et d’avoué près les cours d’appel

La séance est ouverte à 10 h 30.

Présidence de M. Guy Geoffroy, vice-président.

La Commission examine, sur le rapport de M. Gilles Bourdouleix, le projet de loi portant fusion des professions d’avocat et d’avoué près les cours d’appel (n° 1709).

M. Gilles Bourdouleix, rapporteur. Le projet de loi s’inscrit dans la réflexion sur la rénovation de la procédure d’appel, illustrée par le rapport « Magendie 2 », qui prévoit son profond remaniement, par voie réglementaire, à compter du 1er janvier 2011. La suppression de la profession d’avoué est également conforme aux conclusions du rapport Darrois. Cette réforme serait par ailleurs rendue nécessaire par la directive européenne « Services », mais ce dernier point est discuté.

Les nombreuses auditions auxquelles j’ai procédé m’ont permis de mesurer l’ampleur du traumatisme engendré par la réforme. En effet, outre la suppression des charges de 441 avoués, charges qu’ils avaient achetées et qui devaient être revendues à leur retraite, c’est le devenir de leurs salariés qui est en question, soit des femmes à 90 %, dont la formation ne dépasse pas le baccalauréat pour 55 %, âgés de plus de cinquante ans pour environ 30 % d’entre eux, et disposant de seize ans d’ancienneté en moyenne. Or ces salariés étaient considérés, notamment par les banques, comme des quasi-fonctionnaires.

Je veux insister sur l’originalité de la réforme. Elle n’aura pas les mêmes conséquences que la suppression des avoués près les tribunaux de grande instance en 1971, puisque ceux-ci jouissaient d’une clientèle propre. En outre la profession d’avocat était moins encombrée à l’époque.

Elle est également différente de la réforme des commissaires-priseurs de 2000, qui n’a fait que limiter leur monopole, ou de celle des courtiers interprètes et des conducteurs de navires en 2001, toutes ces réformes n’ayant pas supprimé les professions en cause.

Quant à la taxe sur les justiciables de 85 euros, qui doit financer la réforme, je me suis étonné auprès de la chancellerie qu’elle touche toutes les procédures civiles, dès la première instance, alors que la réforme ne porte que sur l’appel. Je me demande si son montant ne devrait pas être lié à l’importance de l’affaire.

Je voudrais m’attarder davantage sur la question de l’indemnisation des avoués. L’inconstitutionnalité de l’article 13 du projet de loi, qui prévoit une indemnisation égale à 66 % de la valeur de l’office, me paraît probable, étant donné le caractère « anormal et spécial » du préjudice subi du fait de la loi. C’est pourquoi j’ai proposé, dans un amendement jugé irrecevable, une indemnisation de 100 %, proposition à laquelle la chancellerie m’a paru particulièrement réceptive.

On doit également s’interroger sur la conformité de cette indemnisation au premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le Conseil d’État ayant admis que le droit de présentation des avoués est un droit patrimonial au sens de l’article premier de ce protocole. En outre, dans son arrêt « Lallement c. France », la CEDH a reconnu que la perte d’un « outil de travail » devait être indemnisée si elle avait pour effet d’empêcher la poursuite de l’activité d’une manière rentable.

C’est pourquoi j’ai proposé, dans des amendements eux aussi jugés irrecevables, que l’on retienne une valeur de l’office qui ne soit pas inférieure à la dernière valeur de cession si celle-ci a eu lieu depuis le 12 mai 2003. Je propose ensuite que les avoués aient droit à une indemnité couvrant le préjudice du fait de la perte de revenus résultant de la suppression de leur office, ainsi qu’à une indemnité couvrant les frais liés à la rupture anticipée des contrats déjà souscrits. La chancellerie réfléchit aux moyens d’améliorer notablement le texte sur ce dernier point.

Quant aux salariés, dont la grande majorité sera licenciée, ils bénéficieront d’indemnités supra légales, qui seront remboursées aux avoués par le fonds d’indemnisation. L’article 14 du projet de loi fixe leur montant au double du montant légal : il variera donc des deux-cinquièmes du salaire pour les salariés comptant une année d’ancienneté, à quatorze mois de salaire à compter de vingt-cinq années d’ancienneté. Je propose pour ma part que ces indemnités soient, sur le modèle du mécanisme retenu pour les commissaires-priseurs, portées à un mois de salaire par année d’ancienneté, dans la limite de trente mois. La chancellerie m’a paru réceptive à cette proposition.

De même, elle a été sensible à ma proposition d’aider également les salariés qui, même s’ils ont trouvé un nouvel emploi avant d’être licenciés, subiraient une perte importante de revenus.

Un effort complémentaire d’accompagnement me semble enfin nécessaire, tel qu’une aide au reclassement des salariés licenciés, notamment dans les greffes des cours d’appel, où de nouveaux postes seront rendus nécessaires pour pallier la désorganisation que la réforme ne manquera pas de provoquer. La chancellerie a reconnu qu’un effort significatif devrait être consenti dans ce sens.

Je conclurai en disant qu’à titre personnel, je ne voterai pas ce texte en l’état, étant donné l’insuffisance des indemnités et des mesures d’accompagnement prévues. J’ai bon espoir cependant que la chancellerie soit plus sensible aux intérêts légitimes des avoués et de leurs personnels.

M. Michel Hunault. Vos conclusions me rassurent, monsieur le rapporteur, car elles rejoignent mon point de vue : je ne voterai pas ce texte si la chancellerie n’accepte pas les modifications que vous proposez.

Je veux rendre hommage à la profession d’avoué : je pense comme vous que sa suppression désorganiserait un système judiciaire où elle joue un rôle irremplaçable. Ce projet de loi a besoin d’être considérablement amélioré, ne serait-ce que du point de vue de l’organisation de la procédure d’appel. Je propose notamment qu’une mission spécifique près des cours d’appel soit confiée aux avocats qui sont d’anciens avoués. Il faut en outre que l’indemnisation des avoués, comme des personnels, tienne compte de la crise actuelle et de ses effets sur l’emploi.

Je voudrais enfin vous poser une question, monsieur le président : que se passera-t-il si la chancellerie et le ministère des finances n’apportaient pas de réponses concrètes aux demandes de notre rapporteur, étant rappelé qu’aux termes des nouvelles dispositions constitutionnelles, c’est le texte voté par la Commission qui est discuté en séance ?

…..

M. Guy Geoffroy, président. Je dois rappeler ici les nouvelles dispositions de l’article 42 de la Constitution, décliné dans l’article 90 de notre règlement. Si notre commission, après avoir discuté des amendements, adopte un texte à l’issue de la présente réunion, c’est ce texte qui sera examiné en séance. Si elle adopte des amendements mais rejette l’ensemble du texte, c’est le projet présenté par le Gouvernement qui ira en séance, lesdits amendements devant être à nouveau présentés dans l’hémicycle et soumis au vote. Il est possible que le Gouvernement dépose des amendements de nature à répondre à vos questions selon la procédure de l’article 88, mais il n’y aura pas de nouveau un vote sur l’ensemble du texte à l’issue de la réunion où ils seront présentés. Ce vote sur l’ensemble du texte aura lieu aujourd’hui.