Réforme de la Garde à Vue

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Assemblée nationale


XIIIe législature


Session ordinaire de 2010-2011



Compte rendu 
intégral

Deuxième séance du mardi 5 avril 2011

 

Garde à vue

Discussion, en deuxième lecture, d’un projet de loi

M. Michel Hunault. Monsieur le garde des sceaux, le projet de loi sur la garde à vue, que nous examinons en deuxième lecture, constitue, comme vous l’avez rappelé à juste titre, un texte de progrès.

Je constate que, depuis la première lecture, nos collègues de l’opposition ont changé de ton.

En première lecture, nous avions travaillé ensemble pour améliorer le projet de loi. Certains ayant avancé que le Gouvernement a été contraint de déposer ce texte, je vais rappeler les étapes de son élaboration.

La réforme de la garde à vue avait été annoncée. Nous faisions partie de ceux qui dénonçaient la multiplication des recours à cette procédure : 800 000 gardes à vue en 2009. Il faut rappeler que cette inflation trouve son origine dans les réformes effectuées alors que Mme Guigou était garde des sceaux ; à l’époque, la garde à vue était censée protéger la personne concernée.

Aujourd’hui, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et une décision du Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, ont poussé le Gouvernement à déposer un projet de loi relatif à la garde à vue. Je rappelle que la question prioritaire de constitutionnalité est une innovation issue de la dernière révision constitutionnelle qui permet à tout citoyen de saisir le Conseil constitutionnel, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, s’il estime qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

En première lecture, l’Assemblée nationale et le Sénat ont introduit dans le texte des garanties nouvelles.

Certes, tout à l’heure, le président de la commission des lois a pris la parole pour poser plusieurs de questions relatives aux moyens. Le fait est assez exceptionnel pour qu’il l’ait fait remarquer. Si ses questions étaient légitimes, il me semble que nous n’avons pas de leçons à recevoir de l’opposition. Depuis une dizaine d’années, elle refuse de voter des budgets qui visent à améliorer la situation de la justice et à rattraper notre retard.

Monsieur le garde des sceaux, nous sommes tous d’accord : il faut encore améliorer le budget du ministère de la justice. Vous n’avez d’ailleurs pas éludé la question puisque vous avez annoncé, la semaine dernière, la mise en place d’un plan de rattrapage, et vous venez de nous confirmer qu’il sera financé dans le cadre du prochain projet de loi de finances rectificative. J’en prends acte au nom de mes collègues du groupe Nouveau Centre.

Le Gouvernement a aussi annoncé la semaine dernière des créations d’emplois ; vous venez de les confirmer. Ces sujets sont importants et des questions se posent. Je l’ai encore constaté, hier, en Loire-Atlantique, où j’avais l’honneur de recevoir le ministre de l’intérieur qui visitait une gendarmerie.

L’essentiel est de se conformer aux exigences de la CEDH et du Conseil constitutionnel tout en garantissant que l’enquête ne sera pas entravée.

En écoutant mes collègues de l’opposition, j’ai quasiment eu le sentiment qu’ils souhaitaient remettre en cause l’article 1er A, introduit par un amendement du Gouvernement, qui dispose que « en matière criminelle et correctionnelle, les déclarations faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui ne peuvent servir, à elles seules, de fondement à une condamnation prononcée contre une personne ».

Monsieur le garde des sceaux, il s’agissait pourtant du cœur du projet de loi. Vous avez pris cette initiative et, après quelques discussions, vous avez été soutenu par la majorité. Vous avez eu raison de tenir bon sur ce point non négociable qui confère un véritable rôle à l’avocat.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, il faut faire confiance aux avocats pour ce qui concerne leur rôle et leur organisation. La présence de l’avocat en garde à vue n’est pas une entrave à la recherche de la vérité. Je dis cela d’autant plus facilement que le Président de la République a lui-même affirmé, lors d’une audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation, qu’il ne fallait pas craindre cette évolution.

Pour autant, pour s’adapter à ce profond changement, il faudra que chacun prenne ses responsabilités. Nous y reviendrons lors des débats.

Nous avons maintenu un délai de carence de deux heures contre l’avis du Gouvernement qui voulait s’en tenir à une heure. Ce n’était pas par plaisir, mais parce que nous voulons que nos brigades de gendarmerie, qui sont des lieux de garde à vue, soient préservées dans le tissu rural. Or certaines d’entre elles sont très éloignées du chef-lieu du département. Un tel délai est donc nécessaire.

Ce projet de loi vise avant tout à réduire le nombre de gardes à vue. C’est un texte de progrès. Pourtant, contrairement à ce que j’avais pu entendre en première lecture, l’opposition n’a pas souligné que cette réforme faisait progresser la défense des libertés et la présomption d’innocence tout en permettant d’assurer la sécurité de l’enquête.

Je sais que certains de mes collègues de la majorité considèrent que le progrès des libertés peut aller à l’encontre de la recherche de la vérité et de la sécurité. J’ai envie de leur dire qu’il ne faut pas avoir peur. Certes, ces dernières années, nous avons voté des textes privilégiant la transposition de normes européenne visant à assurer la défense des droits des individus. Toutefois, face à ces droits, il y a des exigences, des obligations et des devoirs.

Les forces de police et de gendarmerie sont très attentives à l’élaboration de la loi et à nos débats. Elles doivent être confortées dans leurs missions. Ce projet de loi n’est pas un texte contre la gendarmerie ou la police.

Ce texte nous est imposé mais nous avons voulu qu’il soit encadré, et nous avons obtenu certaines garanties.

Avec l’ordre des avocats et les barreaux, il conviendra de dresser le bilan de son application sur le terrain

Ainsi que le président de la commission des lois et le garde des sceaux l’ont dit avant moi, ce texte n’aura de sens que s’il est accompagné d’un effort budgétaire.

Monsieur Mercier, les parlementaires sont aussi une force de proposition. J’ai ainsi suggéré que la protection juridique et la clause « défense et recours » puissent prendre en charge l’intervention de l’avocat. Cette piste n’a pas été retenue et vous avez annoncé avoir abondé les crédits. En pratique, comment cela fonctionne-t-il ? Une partie de nos concitoyens n’est en effet ni assez pauvre pour bénéficier de l’aide juridictionnelle ni assez riche pour estimer que l’accès à l’avocat n’est pas trop coûteux.

Au-delà de la garde à vue, l’accès au droit et à la justice pose un vrai problème. Une mission d’information travaille sur ce sujet au sein de la commission des lois à l’initiative du président Warsmann qui vous a fait des propositions. Ce sujet est crucial.

Il faut aussi consentir un effort pour adapter les locaux de police et de gendarmerie. Une mise aux normes s’impose qui sera coûteuse, mais il ne faudrait pas que nous votions un texte inapplicable.

Monsieur le garde des sceaux, nous vous soutenons pour ce qui concerne la philosophie générale de ce projet de loi.

Monsieur le rapporteur, vous avez été attentif à un certain nombre de suggestions. Nous avons eu des divergences en première lecture. Le Sénat s’est prononcé et il me semble que, pour l’essentiel, nous sommes parvenus à écrire un texte qui permettra d’aborder la réforme avec confiance.

Je concède que certaines questions demeurent.

Ainsi, Mme Pau-Langevin a évoqué la situation de la personne gardée à vue. En première lecture, nous avons fait d’énorme progrès en la matière. Monsieur le ministre, ce n’était pas parce que les amendements adoptés étaient signés par le Nouveau Centre, mais parce que vous avez été très attentif au respect de la dignité et de la présomption d’innocence qui sont la pierre angulaire et la philosophie de ce texte.

Abordons cette seconde lecture avec confiance. Certes, il y a urgence – j’ai entendu parler de l’échéance du 15 avril –, mais, au regard du mouvement pour le progrès des libertés, il faut surtout affirmer que ce texte mérite d’être approuvé. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)