Réforme de la Garde à Vue

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Assemblée nationale


XIIIe législature


Session ordinaire de 2010-2011



Compte rendu
 intégral

Deuxième séance du mardi 18 janvier 2011

Garde à vue

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la garde à vue (nos 2855, 3040).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de huit heures vingt-deux minutes pour le groupe UMP ; dix heures quarante-trois minutes pour le groupe SRC ; cinq heures dix-huit minutes pour le groupe GDR ; quatre heures quinze minutes pour le groupe Nouveau Centre et cinquante minutes pour les députés non inscrits.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pour la première fois depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, notre assemblée est saisie d’un projet de loi qui vise à tirer les conséquences d’une décision rendue dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel. En abrogeant le support légal de la garde à vue tout en renvoyant les effets de sa décision au 1er juillet prochain, le Conseil constitutionnel a plus largement mis le législateur en demeure de définir un nouvel équilibre entre les droits de la défense et la protection de l’ordre public au cours d’une mesure progressivement devenue un symbole de l’enquête policière.

Le projet de loi dont nous discutons revêt bel et bien une importance cruciale. Monsieur le ministre, je vous ai entendu tout à l’heure avec beaucoup d’intérêt. Vous avez replacé cette discussion dans le long cheminement de textes qui visent à accroître les libertés. Vous avez rappelé à juste titre la loi pénitentiaire, l’instauration du contrôleur général des lieux de privation de liberté, la question prioritaire de constitutionnalité, et cet après-midi même nous avons voté la création d’un défenseur des droits.

Convenons-en, le débat sur la présence d’un avocat en garde à vue est ancien. Il échouait jusqu’alors sur l’une de nos traditions juridiques, celle d’une certaine conception de la procédure pénale selon laquelle le caractère contradictoire des phases d’instruction puis de jugement permettait de poser certaines restrictions aux droits de la défense lors de la phase policière sans remettre en cause pour autant ni la présomption d’innocence ni l’équilibre du procès pénal lui-même.

Incontestablement, l’année écoulée a fait voler en éclats l’ensemble des lignes de fracture qui marquaient traditionnellement ce débat. D’ailleurs, monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure – c’est une information capitale – que désormais « aucune condamnation ne pourra être faite sur des déclarations elles-mêmes faites hors de la présence de l’avocat ». C’est là un progrès considérable.

Ce fut, d’abord, le fait de la Cour européenne des droits de l’homme – ses différents arrêts ont été cités –, qui condamnait les États en les déclarant en contradiction avec la convention de sauvegarde des droits de l’homme dès lors que les droits du gardé à vue étaient limités.

Ce furent, ensuite, les chiffres que vous avez vous-même rappelés : près de 800 000 gardes à vue en France en 2010. Déjà, votre collègue du ministère de l’intérieur avait donné des instructions l’année dernière – je parle sous votre contrôle – pour que le nombre de gardés à vue ne soit plus un critère de performance de la police.

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Delarue, estime quant à lui que la plupart des lieux de garde à vue sont dans un état indigne pour les personnes qui y séjournent, qu’elles soient interpellées ou qu’elles y exercent des fonctions. Il parlait des cellules de gardés à vue comme de lieux des plus médiocres.

Ce projet de loi est donc un progrès. Le renforcement du rôle tenu par l’avocat lors de la garde à vue constitue désormais un point consensuel du débat. Le Président de la République lui-même, déclarait devant la Cour de cassation, le 7 janvier 2009 : « Parce que les avocats sont des auxiliaires de justice, qu’ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure. Il ne le faut pas parce qu’elle est bien sûr une garantie pour leur client. Elle est aussi une garantie pour les enquêteurs eux-mêmes, qui ont tout à gagner d’un processus consacré par le principe du contradictoire. » C’est là, monsieur le garde des sceaux, une vision partagée entre vous et les membres de votre majorité : le progrès qui n’est perçu aujourd’hui que pour le gardé à vue, est également un progrès pour les policiers et les forces de gendarmerie. Il n’y a pas de contradiction dans le texte ; il n’est pas inutile de le rappeler.

Je voudrais maintenant parler des abus, car si nous sommes dans cet hémicycle ce soir c’est qu’il y en a eu. Lorsque la commission d’Outreau a été créée, nous avons vu quelles étaient les failles d’une garde à vue faite sans un minimum de garanties. Nous-mêmes, sur tous les bancs de cet hémicycle, avions déposé des propositions de loi visant à introduire la présence de l’avocat dès la première heure de garde à vue, et ce n’est pas sans émotion que je pense au texte que j’avais défendu.

Sur le fond, il nous faut trouver un nouvel équilibre entre la protection des droits de la défense et les nécessités de l’enquête. Et là, je voudrais m’élever contre les attaques dont font trop souvent l’objet les magistrats du parquet, qui sont mis en cause alors que la recherche de la vérité n’est pas contraire à leur volonté d’assurer, eux aussi, la protection des libertés individuelles – je crois nécessaire de le rappeler à cette tribune.

Il nous faut donc concilier l’efficacité des procédures et la protection des droits. La police et la justice ne mènent pas leurs missions l’une sans l’autre. Les magistrats du parquet sont mobilisés jour et nuit, les policiers aussi, car l’enjeu est bien de lutter contre la grande criminalité. M. Vaxès ne m’en voudra pas, mais je plaide pour qu’il y ait des régimes dérogatoires dès lors qu’il s’agit de lutter contre le terrorisme ou la grande criminalité organisée. Il me semble nécessaire de maintenir cette différence.

Comme l’a rappelé le rapporteur, la commission des lois a fait le choix de permettre à la victime de se faire assister d’un avocat lorsqu’elle est confrontée, au cours de la garde à vue, à un suspect lui-même assisté. Sans attendre cette hypothèse, les députés du Nouveau Centre vous proposent d’aller plus loin, monsieur le garde des sceaux, pour les crimes et délits les plus graves – je pense aux délits punis d’une peine de plus de deux ans d’emprisonnement – en prévoyant que la victime puisse se faire représenter par un avocat au cours de la garde à vue. Je rappelle qu’il s’agit là des conclusions du comité Léger, qui préconisait d’offrir à la victime la possibilité de devenir « partie à l’enquête » et de couper court à cette logique qui voudrait que la justice se montre sourde à la souffrance des victimes, laquelle ne peut à terme qu’alimenter l’incompréhension de nos concitoyens, voire une défiance en tous points regrettable à l’égard de notre institution judiciaire. Je voulais, au nom de mes collègues du Nouveau Centre, évoquer les victimes. C’est d’autant plus nécessaire que le projet de loi prévoit un renforcement sans précédent des droits de la défense en garde à vue.

Je ne reviendrai pas sur l’actuelle définition de l’article 63-4 du code de procédure pénale. Avec ce projet de loi, ce sera différent. Nous ouvrons à toute personne gardée à vue un droit effectif à se faire assister d’un avocat, lequel pourra continuer à s’entretenir avec elle. L’avocat disposera désormais également, avec le procès – verbal de placement en garde à vue, des éléments à même d’aider cette personne dans la préparation de sa défense. Il aura la possibilité d’assister la personne gardée à vue au cours des auditions. Il pourra, au terme de chacune d’entre elles, formuler des observations et ce, monsieur le ministre, conformément aux préconisations de la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’appuie sur la convention européenne des droits de l’homme dont nous avons célébré, au mois de décembre dernier, le soixantième anniversaire.

Avec ce projet de loi, il s’agit, au fond, de donner enfin à la présomption d’innocence sa pleine et entière traduction en la consacrant comme un principe cardinal du procès pénal opérant dès les premiers instants de la procédure. C’est donc un progrès indéniable qui devra s’accompagner d’évolutions quant au déroulement même de la garde à vue.

Au nom de mes collègues du Nouveau Centre, j’ai déposé des amendements auxquels le rapporteur et vous-même, monsieur le ministre, avez été sensibles, qui visent à assurer la dignité de la personne gardée à vue. Je pense à la pratique actuelle de la fouille au corps, à des actes humiliants pour la personne gardée à vue et qui sont indignes des principes auxquels vous et moi sommes attachés. M. Vallini m’écoute attentivement et je pense aux moments que nous avons connus lorsqu’il a présidé la commission d’Outreau, aux témoignages des personnes innocentes pourtant condamnées, qui nous expliquaient que les moments cruciaux avaient été ceux où elles étaient gardées à vue, pendant lesquels elles avaient été tutoyées, humiliées, déshabillées, fouillées au corps, et qu’elles avaient dû faire des aveux parce qu’elles avaient craqué.

Avec ce projet de loi, nous voulons mettre fin à certaines réalités. Il est important – et je me tourne là vers mes collègues de l’opposition –que ce projet de loi soit l’aboutissement de dénonciations de faits qui sont aujourd’hui intolérables. Pour autant, ces exigences nouvelles devront se concilier avec la protection de l’ordre public, l’exigence de prévention et de répression de la criminalité organisée. Il importe de rappeler qu’une grande partie de la réponse au problème réside aussi dans le renforcement en cours de ce qui constitue le passage d’une culture de l’aveu à une culture de la preuve.

Pour le reste, je reprendrai des interrogations que j’ai eu l’occasion d’exprimer en commission des lois et que certains de mes collègues ont exposées en défendant leur motion de rejet préalable ou de renvoi en commission. Je crois, monsieur le garde des sceaux, qu’il faudra répondre à certaines questions à l’occasion de la discussion des articles.

S’agissant d’abord des moyens, cette réforme aura un coût pour les avocats. Vous vous êtes engagé à revaloriser l’aide juridictionnelle. Permettez-moi de vous donner d’autres pistes de réflexion, car l’exécutif et le Parlement doivent travailler ensemble. Chacun est obligé de conclure des contrats d’assurance pour l’habitation, dans lesquels il y des clauses défense – recours, protection juridique. C’est une piste parmi d’autres.

Il y a également des questions sur les lieux de garde à vue. Vous avez été interrogé cet après-midi par l’un de mes collègues du Nouveau Centre sur la convention que vous venez de passer avec votre homologue du ministère de la santé. Il y a des atteintes à l’intégrité de la personne – je pense notamment aux crimes sexuels pour lesquels les constatations se font dans un centre, souvent au chef-lieu de département. Je suis favorable au maintien des lieux de garde à vue dans les brigades territoriales et les commissariats.

On ne va pas obliger la personne à aller au chef-lieu de département !

Il y a là de vraies questions auxquelles nous ne pourrons pas forcément répondre dans le cadre de la discussion des amendements. Il faudra mettre tout le monde autour de la table, non seulement l’exécutif et le Parlement, mais aussi tous les acteurs – magistrats, avocats –, pour poser la question des moyens et parler des victimes.

Je voudrais également, monsieur le ministre, évoquer la contrôle de la mise en œuvre de la garde à vue. L’amendement Houillon, sur lequel vous vous êtes attardé tout à l’heure, a été adopté en commission par vingt-et-une voix contre vingt. Dans ces vingt-et-une voix il n’y avait pas que celles de l’opposition, il y avait aussi celles de certains collègues de l’UMP et la mienne. Nous aurons ce débat sur le statut du parquet à l’occasion de l’examen des articles. Vous savez que les magistrats veulent une évolution et des garanties. Il n’y a pas, dans cet hémicycle, une volonté de faire le procès du parquet. Il y a simplement une volonté d’apporter des garanties.

Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous proposez est l’aboutissement d’un long processus visant à améliorer les garanties individuelles et la présomption d’innocence. Il faut y trouver des éléments qui nous rassemblent au lieu de nous diviser, même si des désaccords subsistent entre vous et une partie de votre majorité sur certaines questions légitimes.

Nous aurons le mérite, en première lecture – et je salue une fois encore le fait que vous ayez préféré deux lectures à une discussion en urgence –, de faire suite aux recommandations du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et surtout à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Je ne peux oublier, pour conclure, que j’ai eu l’honneur, pendant dix-sept ans, de faire partie de notre délégation au Conseil de l’Europe, conscience de notre continent, où sont évoqués les droits de l’homme, ceux des victimes et de toutes celles et ceux qui sont privés de liberté. Le régime de la garde à vue en est une pièce fondamentale, et nous sommes tous ici des défenseurs de la dignité des personnes gardées à vue, qui, tant qu’elles ne sont pas jugées, sont présumées innocentes.

Nous sommes, dans cet hémicycle, dépositaires d’un idéal pour lequel la France demeure, aux yeux de beaucoup de nations, une référence, et c’est avec peine que nous avons subi la condamnation légitime de la Cour européenne des droits de l’homme pour des manquements inadmissibles. L’un de vos prédécesseurs, monsieur le ministre, a même dû présenter les excuses de la chancellerie aux victimes du procès d’Outreau.

Ce projet de loi doit nous rassembler. Nous discuterons de certains points, mais c’est avec confiance qu’avec les députés du Nouveau Centre j’aborde nos débats.