Réforme de la Garde à Vue

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Assemblée nationale


XIIIe législature


Session extraordinaire de 2010-2011



Compte rendu 
intégral

Deuxième séance du mercredi 19 janvier 2011

Garde à vue

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion des articles (suite)

Article 2

M. le président. Sur l’article 2, je suis saisi d’un amendement n° 153.

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Cet amendement se borne à requérir pour les cas de gardes à vue qui ne concernent pas des crimes et délits commis en flagrance, que celles-ci soient décidées par le procureur, et non par le seul officier de police judiciaire.

Cet amendement se situe en deçà des préconisations de la CNCDH. En effet, cette instance déplore que le projet de réforme laisse aux officiers de police judiciaire la responsabilité de placer en garde à vue, alors que ceux-ci sont sous tutelle du ministère de l’intérieur et sous la direction du procureur de la République, subordonné lui-même au garde des sceaux.

Dans son avis du 10 juin 2010, la Commission énonce : « Il conviendrait en effet de subordonner, sous réserve que des moyens suffisants soient prévus, le placement en garde à vue ou, a minima, la prolongation de celle-ci à l’autorisation du magistrat du siège. » Or, en l’état actuel du texte, l’autorisation du procureur n’est même pas requise.

Par ailleurs, le plancher retenu implique une qualification en amont de l’infraction par les officiers de police judiciaire, mais sans l’intervention d’un juge. Cette préqualification policière n’est ni réglementée ni mesurée, comme le souligne la CNCDH.

Pour illustrer cet amendement, prenons l’exemple d’un jeune homme de quinze ans, sans casier judiciaire, qui serait conduit en garde à vue pour avoir fait un croc-en-jambe à un camarade à la sortie du collège. Un tel délit de violence volontaire, n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail, est sanctionné par une contravention de quatrième classe et ne justifie pas une garde à vue, faute de peine de prison encourue.

Cependant, la victime est un mineur de quinze ans et les faits ont eu lieu à proximité d’un établissement d’enseignement. Ce sont deux circonstances aggravantes qui portent la peine encourue à cinq ans de prison. L’officier de police judiciaire, sans intervention d’un juge, peut se sentir fondé à placer le mineur en garde à vue. Cette mesure semble pourtant abusive.

C’est la raison pour laquelle il convient de subordonner le prononcé de la mesure de garde à vue à la requête du procureur de la République. Celui-ci est compétent pour qualifier les faits, déterminer la lourdeur des peines encourues et donc pour demander à l’officier de police judiciaire de placer ou non le suspect en garde à vue.

Cette disposition est d’autant plus réalisable que la commission des lois a séparé la gestion de la garde à vue, confiée au procureur, de son contrôle, confié au juge des libertés et de la détention. L’obstacle selon lequel le procureur ne pouvait à la fois décider de la garde à vue et la contrôler est donc levé.

Enfin, le procureur a autorité pour prolonger la garde à vue ; son autorisation écrite est nécessaire. Pourquoi ne le serait-elle pas également pour autoriser la garde à vue, à l’exception évidemment des cas de flagrants délits prévus par l’amendement ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Nous avons émis un avis défavorable à cet amendement, au profit de l’amendement n° 22 du Gouvernement qui suit et pour lequel je développerai mon argumentaire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, j’interviens évidemment pour approuver l’amendement proposé par notre collègue Vaxès et le comparer à celui du Gouvernement, évoqué à l’instant par le rapporteur.

En effet, nous considérons que c’est au procureur de la République de décider, et non pas à l’officier de police judiciaire. Votre amendement propose un peu les deux : c’est l’officier de police judiciaire qui, d’office ou sur instruction du procureur de la République, peut placer une personne en garde à vue.

Pour notre part, nous essayons de nous conformer à la jurisprudence de la CNCDH, en indiquant que c’est au procureur plutôt qu’à l’officier de police judiciaire de décider du placement en garde à vue.

C’est pourquoi nous accordons beaucoup d’importance à cet amendement, considérant qu’il constitue une sorte de pilier de l’esprit de la réforme, en ce qui concerne le respect de la jurisprudence de la Cour européenne et cette séparation très nette entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir policier.

D’autre part, nous n’ignorons pas l’existence d’un problème de moyens. Nous ne pouvons pas discuter d’une réforme de cette importance sans évoquer les moyens – nous l’avons fait pendant la discussion générale et nous y reviendrons au cours des débats.

Quand on compare le nombre de procureurs de la République et le nombre d’officiers de police judiciaire, comme diraient mes collègues journalistes, il n’y a pas photo à l’arrivée : environ 2 000 d’un côté et 50 000 de l’autre !

L’amendement que nous défendons vaut dans le principe, il permet d’articuler la réforme sur ces principes de respect de séparation. Cela étant, il s’agirait de donner à la justice les moyens d’exercer ses fonctions régaliennes et d’être un grand service public. Ce n’est plus le cas actuellement, comme le montrent les difficultés que rencontrent des tribunaux.

Monsieur le garde des sceaux, dois-je vous rappeler cette enquête qui a été menée par l’Union syndicale des magistrats, qui n’est pas un syndicat de gauchistes ? À Bobigny ou dans l’une des banlieues de Paris, un juge d’instruction a attendu son greffier pendant six mois ! Voilà qui en dit long sur la grande déshérence de la justice, sur son absence de moyens.

Nous ne pouvons pas voter des lois qui impliquent un renforcement des moyens de la justice et la laisser dans cette espèce de désert qui nuit à la garantie des libertés.

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Je partage les propos de mon collègue Noël Mamère, mais, puisque M. le ministre de la justice est présent et qu’il a pris très récemment ses fonctions, je voudrais aborder un sujet un peu annexe en revenant sur l’exemple, particulièrement intéressant, donné par M. Vaxès.

Dans une cour de collège, un jeune homme fait un croche-pied à l’un de ses camarades, mineur. Par le biais des circonstances aggravantes, ce fait mineur devient un délit.

En nous livrant à une définition des violences, nous avons multiplié les circonstances aggravantes. Dans l’article du code qui définit les violences, il existe des circonstances aggravantes tenant à la personnalité de l’auteur, à la personnalité de la victime et au lieu de l’infraction. Le cumul des trois aggravations, par des raisonnements un peu délirants, conduit à créer des délits.

Dans ces conditions, les chiffres de la délinquance dont nous nous servons, que nous nous envoyons régulièrement à la figure, n’ont au fond aucun sens. Nous modifions en permanence la définition même des délits. Cette discussion sur les chiffres de la délinquance n’est absolument pas stabilisée. Nous parlons, d’un côté comme de l’autre, de choses qui sont différentes. Comme nous créons des délits, il est difficile de se référer à la mesure des hausses et des baisses.

Nous gagnerions beaucoup à essayer de stabiliser, de comprendre ce qui se passe vraiment, afin de lutter efficacement contre les phénomènes de violence. Nous gagnerions aussi beaucoup à élaborer des textes permettant de définir précisément les infractions. Le jeu de cumul des circonstances aggravantes ne peut pas fonctionner comme nous le faisons fonctionner en matière de violences.

Mon propos était un peu annexe, mais je crois que cette discussion vaut la peine d’être menée. Ce soir, le climat étant assez calme sur ces questions de droit pénal, j’en ai profité pour faire cette petite observation.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Je ne suis pas favorable à l’amendement de nos collègues socialistes et je préfère celui du Gouvernement.

Si votre amendement était appliqué, un officier de police judiciaire ne pourrait placer en garde à vue que sur instruction du procureur de la République.

Monsieur le garde des sceaux, en conclusion de la discussion générale, vous avez appelé à un équilibre. Déjà, on va demander aux officiers de police judiciaire de revoir la garde à vue avec des garanties pour la personne gardée à vue. Vous proposez de restreindre encore le placement en leur demandant de ne le faire que sur instruction du procureur.

Il ne faut pas donner ce signal. L’amendement du Gouvernement est plus équilibré.

(L’amendement n° 153 n’est pas adopté.)