Réforme de la Garde à Vue

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Assemblée nationale


XIIIe législature


Session extraordinaire de 2010-2011



Compte rendu 
intégral

Deuxième séance du mercredi 19 janvier 2011

Garde à vue

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion des articles (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé l’examen des articles, s’arrêtant aux amendements en discussion commune nos 121, 198, 83 et 21 à l’article 1er.

 

Article 1er (suite)

M. le président. Les amendements nos 121 et 198 sont identiques.

La parole est à M. Louis Cosyns, pour soutenir l’amendement n° 121.

M. Louis Cosyns. Cet amendement vise à préciser la fin de l’alinéa 11.

La garde à vue est, depuis 1993, placée sous l’autorité du procureur de la République. Ce contrôle reconnu par le Conseil constitutionnel n’est pas critiqué par le droit conventionnel, qui admet que l’intervention du juge puisse être retardée pour un délai raisonnable.

De même, par une décision du 15 décembre dernier, la Cour de cassation, revenant sur le statut du procureur de la République, confirme la jurisprudence européenne et plus particulièrement l’arrêt Moulin du 23 novembre 2010.

Néanmoins, en raison de la brièveté de la mesure, le contrôle peut tout à fait être exercé par le procureur de la République, ce qui a notamment été rappelé par la Cour de cassation.

Par conséquent, cet amendement vise à rétablir le contrôle de la garde à vue par le procureur de la République.

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin, rapporteur, pour donner l’avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Philippe Gosselin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. La commission est favorable à l’amendement n° 21 du Gouvernement, et, donc, défavorable aux autres amendements en discussion commune.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. En effet !

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Le Gouvernement propose l’amendement n° 21 et émet un avis défavorable aux trois autres amendements.

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. La question est envisagée ici de façon assez théorique. Nous avons affirmé le pouvoir de contrôle du juge des libertés et de la détention sans pour autant lui en attribuer les moyens. Le principe est posé, mais il ne trouve pas de traduction pratique.

Nous nous situons ici au cœur des difficultés que présente le texte. Synthétiquement, il serait souhaitable d’adopter la position suivante : le procureur doit être à même d’exercer la direction de la garde à vue et donc d’être à même, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, de se prononcer sur la prolongation de ladite garde à vue.

J’ai déposé plusieurs amendements visant à faire de cette prolongation la prérogative du juge des libertés et de la détention, cela par précaution, dans l’éventualité d’une évolution de la jurisprudence de la CEDH. Je sais qu’il est en pratique plus facile d’organiser une prolongation via le procureur que par le biais du juge des libertés et de la détention. Les procureurs et les parquets ont su mettre en place une permanence pénale au prix d’efforts très importants. Cette permanence ne parvient pas à assurer un service vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais quinze, voire dix-sept heures par jour, et elle se révèle relativement efficace. Il conviendrait néanmoins de se prémunir de toute difficulté à venir et de confier la prolongation de la garde à vue au juge des libertés et de la détention.

Par ailleurs, il serait raisonnable de donner la possibilité d’écarter la présence de l’avocat pendant douze heures non au procureur – comme le prévoient d’autres dispositions du texte – mais au juge des libertés et de la détention. Indépendamment du statut du procureur, de la question de savoir s’il est ou non une autorité judiciaire, des modalités de sa nomination – je vous fais grâce de l’argumentation que nous avons déjà présentée, et je n’insisterai pas sur la nécessaire évaluation du procureur –, il est une autorité poursuivante. J’ai bien entendu les explications de M. Garraud et bien compris que le procureur est une autorité poursuivante d’un genre un peu particulier. Néanmoins, au regard de sa jurisprudence, cette particularité ne sautera pas aux yeux de la CEDH, si je puis m’exprimer de la sorte.

Par conséquent, si je comprends qu’on veuille conserver cette spécificité de la procédure française, il n’en convient pas moins de se conformer à la décision de la CEDH selon laquelle seul le juge des libertés et de la détention peut porter atteinte aux droits de l’autre partie.

Formulée ainsi, cette idée est certes de nature à blesser la sensibilité des parquetiers, qui s’estiment d’un genre différent des autres parties. Je ne vise pas particulièrement à blesser la sensibilité des parquetiers, mais il faut prendre en compte la difficulté selon laquelle il n’est pas possible d’admettre que l’atteinte portée aux droits de la partie poursuivie peut être le fait de la partie poursuivante. Nous ne pouvons pas envisager les choses d’une autre manière.

Quand bien même il serait possible de prévoir un moratoire et d’envoyer un signe à l’adresse de la CEDH, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation en faisant valoir que nous avons besoin d’un délai pour mettre ce dispositif en place, le juge des libertés et de la détention ne pouvant être opératoire avant trois ou cinq ans, le temps de réunir les fonds nécessaires, il serait opportun de prévoir une saisine spontanée du Conseil constitutionnel de façon à valider le texte. Il est en effet insupportable pour les policiers et pour les procureurs de se demander si la procédure telle qu’ils l’appliquent peut être tout à coup annulée, avec toutes les conséquences qu’une telle annulation aurait sur les procédures en cours, par une décision de la CEDH qui considérerait que, malgré nos efforts, le texte ne serait pas conforme à la Constitution ou à la Convention européenne des droits de l’homme.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement souhaite rétablir les attributions du procureur de la République dans la direction et la première prolongation de la garde à vue dans les quarante-huit premières heures. Il est bien évident qu’au-delà de ce délai, c’est le juge du siège, le juge des libertés et de la détention, qui devient compétent.

Nous ne contestons pas, monsieur Raimbourg, le fait que, pour la Cour de Strasbourg, le procureur n’est pas, au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention, une autorité judiciaire pouvant organiser le contrôle de la mesure privative de liberté au-delà d’une période que la Cour fait varier entre trois et quatre jours. En deçà, le droit interne reprend le dessus et peut organiser comme il l’entend la procédure. Le fait que l’on confie au procureur de la République la direction de la garde à vue pendant cette période constitue une garantie complémentaire à celle accordée par la CEDH. Il s’agit d’une garantie constitutionnelle telle que l’a rappelée le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010, confirmée par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 15 décembre 2010.

M. le président. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. En ce qui concerne le contrôle, nous pouvons tous nous accorder sur quelques idées simples. Ainsi, personne ne conteste que le parquet a autorité sur les quarante-huit premières heures de la garde à vue, y compris pour le renouvellement de vingt-quatre à quarante-huit heures car nous nous trouvons toujours dans les délais estimés convenables par la CEDH. Personne ne conteste non plus que le contrôle juridictionnel – contrôle a posteriori – s’exerce par le juge du siège. C’est évidemment le juge du fond qui va estimer si les critères légaux ont ou non été respectés.

Reste l’affirmation du principe du contrôle par le procureur. J’observe d’ailleurs que M. le garde des sceaux, dans son intervention à l’instant, n’a jamais employé le mot « contrôle », mais a employé le terme de « responsabilité ». J’observe que dans l’exposé sommaire des différents amendements qui nous sont présentés, on emploie le terme d’ « autorité », de « responsabilité », et pas celui de « contrôle ».

Ce n’est pas forcément gênant d’employer le terme de « contrôle » si l’on sait ce que l’on met derrière cette notion. Mais en l’occurrence, on le sait, et M. Raimbourg vient de l’expliquer : on y met notamment la possibilité, pour la partie poursuivante, de déterminer le périmètre d’intervention et d’exercice des droits de la défense. Et cela, ce n’est tout simplement pas possible. Il y aura donc forcément un problème.

Je veux bien entendre que la partie poursuivante qu’est le parquet serait une partie poursuivante d’une nature spéciale, quoique je ne sache pas trop ce que cela veut dire. Qui est la partie poursuivante dans un procès pénal ? Si ce n’est pas le parquet, il faut m’expliquer qui c’est. C’est bien le parquet qui exerce l’action publique et qui est la partie poursuivante. C’est d’ailleurs ce que dit expressément l’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre dernier.

Je comprends que pendant les quarante-huit premières heures, l’intervention du JLD soit de nature à poser un problème pratique insupportable. Je comprends bien qu’il ne s’agit pas de prendre des décisions qui vont aboutir à paralyser l’exercice des gardes à vue. Il ne s’agit pas, certes, de faire n’importe quoi. Mais il ne s’agit pas non plus de dénaturer totalement les principes en prenant le risque que, demain, la Cour de cassation en France, la CEDH un peu plus tard, voire le Conseil constitutionnel dans le cadre des QPC, qui bouleversent un peu l’organisation de notre façon d’exercer la justice, viennent nous dire que la partie poursuivante ne peut pas déterminer le périmètre des droits de la défense. Il y a là un vrai problème.

On peut dire que la disposition proposée s’appliquera à titre temporaire, comme le suggère M. Raimbourg. Je n’en sais rien. Mais ce problème me paraît vraiment constituer un obstacle totalement insurmontable.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je voudrais revenir sur ces différents termes : direction, contrôle, contrôle juridictionnel. Le vocabulaire de notre langue est riche, mais il arrive toutefois que l’on emploie un même mot dans des sens différents. Cela me donne l’occasion de revenir sur le rôle du procureur. À au moins trois reprises, le Conseil constitutionnel utilise le mot contrôle. C’est ainsi que dans une décision du 11 août 1993, il dit que le procureur « doit être à même d’en assurer effectivement le contrôle », ou encore il parle du « pouvoir de contrôle qu’il lui appartient d’exercer ». Dans une décision de 2004, il rappelle que « le procureur contrôle aussitôt la qualification de la garde à vue ». Il dit, toujours en 2004, que « le déroulement de la garde à vue est placé sous le contrôle du procureur de la République ».

Cela ne signifie pas du tout, monsieur Houillon, que le juge du siège n’ait pas un contrôle juridictionnel sur l’ensemble. Il ne faut pas entendre le mot « contrôle » dans le même sens dans les deux cas.

M. Goasguen, qui me semble dubitatif, est un trop bon connaisseur de l’histoire de notre droit pour ne pas savoir que, parfois, un même mot n’a pas le même sens. Il convient de l’entendre dans le sens qu’il a habituellement dans le contexte dans lequel on l’utilise.

Quand on dit que le procureur « contrôle » la garde à vue, quelle est la différence avec « dirige » ? Il n’y en a pas beaucoup. Le procureur contrôle plusieurs gardes à vue, et l’officier de police judiciaire dirige une garde à vue. Celui-ci est au plus près des choses, il organise la garde à vue en elle-même. Il rendra compte au procureur, lequel contrôlera s’il a bien appliqué le texte. Cela ne veut pas du tout dire que cela exclue le contrôle juridictionnel a posteriori du juge. Il faut entendre les choses comme cela. Habituellement, dans le code comme dans la jurisprudence, on dit que le procureur de la République « contrôle », mais cela ne veut pas dire qu’il exerce le contrôle juridictionnel, lequel appartient naturellement au juge du siège, qui pourra, à la demande des parties, exercer tout le contrôle nécessaire sur la garde à vue.

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Je vais voter cet amendement. Mais très franchement, c’est une disposition provisoire. Et vous le savez bien, monsieur le ministre. Je rejoins tout à fait, à cet égard, ce qu’a dit notre collègue socialiste. Je souhaite qu’il soit le plus provisoire possible.

Car, ne vous y trompez pas, vous avez fait analyse sur un arrêt de la Cour européenne in concreto. Vous en avez sorti une phase définitive. Elle n’est absolument pas définitive. Vous savez très bien dans quel sens va aller l’évolution.

Je voudrais vous rappeler une bonne fois pour toutes que cette tendance du droit français à privilégier en permanence la puissance publique n’est pas représentative du procès. Certains, ici, parlent sans cesse de « l’efficacité du procès ». Mais le procès n’est pas un problème de sécurité. C’est un problème de justice et de droit. Que je sache, c’est encore le juge qui dit le droit, et non pas la partie prenante qu’est la puissance publique représentée par le procureur.

Il faut que l’évolution aille vite. Pourquoi ? Parce que si d’aventure il y avait un changement de majorité, ce qui peut toujours arriver, et que nos collègues de l’actuelle opposition transforment un procureur de la République en magistrat indépendant, alors je vous assure que non seulement nous serions confrontés aux difficultés actuelles, mais nous aurions en plus de cela donné naissance à un corporatisme judiciaire encore plus oppressant que celui qui existe actuellement. Ce n’est pas le juge qui dirait le droit, mais un corps à part, un procureur indépendant dirigeant l’enquête proprio motu. Et les avocats seraient encore plus ignorés qu’aujourd’hui.

Je vous le dis, mes chers collègues socialistes, cette tendance du droit moderne va complètement à l’encontre de votre vœu, qui pouvait se comprendre durant les dix dernières années, de donner à la procurature l’indépendance. En réalité, ce serait la pire des catastrophes. C’est le juge qui dit le droit. Ce n’est pas le procureur indépendant, ce n’est pas l’avocat, c’est le juge, qui est situé au milieu, entre la partie qui représente la puissance publique, d’un côté, et la défense de l’autre.

Cet amendement, je vais le voter. Mais, mon Dieu, qu’il soit très rapidement mis à mal par l’évolution d’un droit moderne, avant qu’il ne soit renforcé par des dispositions qui enkysteraient complètement la procédure, et qui aboutiraient à un système dont nous avons eu tellement de mal à sortir. N’oubliez jamais que toutes les révolutions, dans ce pays, se sont faites contre les juges.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. L’argumentation du Gouvernement sur cette question ne me paraît pas très honnête. Peut-être me trompé-je, auquel cas vous me reprendrez, monsieur le ministre.

D’abord, le Gouvernement fait mine de confondre la « gestion » de la garde à vue avec le contrôle de la légalité de la procédure. Ainsi, il justifie son amendement de recul en prétendant qu’aucun pays d’Europe n’exige l’intervention d’un juge dès le début de la privation de liberté du suspect. Mais ce n’est pas du tout ce dont il s’agit ici ! Confier le contrôle de la légalité de la procédure de la garde à vue à un juge du siège, ce n’est pas demander son intervention dès le début de la garde à vue. C’est simplement confier à une autorité judiciaire indépendante le contrôle a posteriori de la légalité de la procédure : il s’agit là d’une disposition qui se conforme aux prescriptions de la CEDH. Il ne saurait en effet y avoir de contrôle de la légalité de la garde à vue si celle-ci n’a pas encore eu lieu !

Deuxièmement, il est faux et mensonger de prétendre que l’article 66 de la Constitution « impose » que la garde à vue soit contrôlée par le procureur. L’article 66 impose uniquement qu’elle soit contrôlée par l’autorité judiciaire dès le prononcé de la mesure. Un juge du siège est bien entendu totalement qualifié pour effectuer ce contrôle.

Troisièmement, le Gouvernement prétend que le JLD opère déjà un contrôle à travers « ses prérogatives en matière de prolongation de la mesure si elle dure plus de 48 heures ». Or, il ne s’agit évidemment pas là du « contrôle de légalité », qui consiste en la vérification a posteriori du respect de l’ensemble des règles procédurales régissant la mesure.

Voilà pourquoi on ne peut pas vous suivre, monsieur le ministre, dans les arguments que vous avancez à l’appui de cet amendement n° 21.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. J’irai dans le même sens que ce que viennent de dire mes collègues. Nous sommes en train de discuter d’un point très important : il s’agit de savoir quel peut être le rôle du siège, et donc d’un juge indépendant, à la fois dans l’exécution de la procédure de garde à vue et dans son contrôle de légalité.

Au-delà de cette question, il y a d’ailleurs celle du statut du procureur. Et nous savons ce qui a été dit par la Cour européenne des droits de l’homme : celle-ci ne le considère pas comme un magistrat.

Nous n’allons pas entrer dans les considérations que nous venons d’entendre de la part de notre collègue Goasguen, parce qu’il n’est pas du tout question d’entrer dans cette logique-là, mais seulement de respecter le droit, de respecter le droit européen, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et de garantir le périmètre de la garde à vue. Ce n’est pas à celui qui poursuit, c’est-à-dire le procureur, de déterminer ce périmètre. C’est en effet à un magistrat du siège de le faire, un magistrat indépendant qui ne peut être que le JLD. Il s’agit à la fois du contrôle de l’exécution de la procédure et de son bon déroulement.

C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, nous ne pouvons pas entrer dans la confusion que vous avez introduite dans votre réponse à nos différentes interventions. Vous essayez, pardonnez-moi cette expression un peu familière, de « noyer le poisson », afin de sauver ce sur quoi s’arc-boute le Gouvernement, à savoir la protection du procureur, en ne répondant pas aux exigences qui sont formulées, instance après instance, par la Cour européenne des droits de l’homme. Voilà pourquoi nous insistons tout particulièrement sur le rôle du JLD.

Se pose en outre un problème institutionnel, qui devient donc aussi un problème politique. Le Président de la République a réuni les deux chambres à Versailles pour une réforme de la Constitution visant à donner plus de pouvoir au Parlement, à tel point qu’en séance publique, nous n’examinons plus les textes du Gouvernement mais ceux de la commission. Or j’étais présent en commission des lois lorsque nous avons abordé le projet de réforme de la garde à vue. Si j’ai bonne mémoire, il s’est trouvé une majorité, réunissant des collègues de gauche mais aussi de droite, pour dire que c’était au juge des libertés et de la détention d’exercer le contrôle de légalité de la procédure, en même temps que sa bonne marche. Et voilà que le Gouvernement dépose un amendement afin de revenir sur ce qui a été adopté par la commission des lois. Alors, il faudrait savoir : soit l’exécutif agit en conformité avec ce qu’il a fait voter à Versailles par le Congrès et accepte que ce soit le texte de la commission des lois qui l’emporte, celui qui a été voté par une majorité de parlementaires, soit, comme on le dirait dans ma Gironde natale, il s’essuie les pieds sur le Parlement comme s’il s’agissait d’une serpillière, parce qu’il veut sa réforme, qui ne correspond pas à ce que nous souhaitons.

Ce qui est très intéressant dans le débat que nous avons depuis vingt-quatre heures, c’est la détermination de certains de nos collègues de droite, qui sont des députés aguerris mais aussi des juristes, et donc des défenseurs des droits et des libertés, qui croient au juge, au rôle du juge, et qui disent comme nous que ce n’est pas aux parlementaires mais aux juges de dire le droit.

Le procureur n’est ni un juge indépendant ni un magistrat du siège ; ce n’est donc pas à lui de dire le droit dans une telle procédure : c’est au juge des libertés et de la détention d’interpréter et de contrôler.

C’est pourquoi nous allons insister sur ce sujet aussi longtemps que ce sera nécessaire, monsieur le garde des sceaux, parce que nous considérons qu’il s’agit d’une des articulations essentielles de la réforme de la garde à vue. Si nous n’obtenons pas gain de cause, c’est-à-dire si le procureur reste ce qu’il est aujourd’hui, avec les traces encore trop visibles de la culture de l’aveu au détriment de la culture de la preuve et un juge du siège considéré comme subalterne, nous nous battrons pour convaincre une majorité de notre assemblée de nous suivre.

M. le président. La parole est à M. Jacques Valax.

M. Jacques Valax. Il faudrait relire le texte prévu, à l’alinéa 11, pour l’article 62-5 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)¸ car il est indissociable des alinéas 12, 13 et 14 : « Ce magistrat [le juge des libertés] apprécie si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l’enquête et proportionnés à la gravité des faits […]. Il assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue. Il peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté. »

L’officier de police judiciaire n’est que le bras armé du procureur de la République, puisqu’il l’appelle pour lui demander s’il peut mettre en garde à vue. Par conséquent, il exécute les ordres du procureur de la République. Dès lors, ce dernier est incontestablement à l’initiative de la procédure. Vous voudriez qu’il soit en plus le responsable du suivi de cette procédure, alors qu’il doit, à un moment donné, s’en départir pour que ce ne soit pas la même personne qui autorise la garde à vue et qui soit chargée de porter l’accusation au nom de la société contre le gardé à vue s’il comparaît devant un tribunal correctionnel. C’est le sens de l’arrêt Moulin : il faut que le contrôle de la garde à vue ait un caractère automatique et, s’agissant des caractéristiques du pouvoir du magistrat, il est nécessaire – peu importe qu’il ait été ou non nommé en ligne directe par l’exécutif, c’est un autre débat – que celui-ci n’exerce pas ensuite les poursuites à l’encontre de la personne concernée.

Je termine sur l’image de la balance de la justice : d’un côté, il y a le procureur, qui porte l’accusation au nom de la société ; de l’autre, il y a l’avocat, qui défend – et cela me plaît – l’individu seul contre la collectivité ; tandis qu’au milieu, le magistrat va décider et faire osciller les plateaux de la balance dans un sens ou dans un autre. Cette image est fondamentale. Il faut donc s’en tenir à l’article dans le texte de la commission. C’est ce qui correspond à l’évolution que vous souhaitiez tant à l’instant, monsieur le garde des sceaux : cette réforme de la garde à vue doit être un progrès. Si vous restreignez ce progrès, cela veut dire que vous avez véritablement peur de l’avenir, ce que je regrette profondément.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Garraud.

M. Jean-Paul Garraud. J’ai apprécié les interventions – j’allais dire les « plaidoiries » – d’un certain nombre de députés qui exercent d’autres fonctions, notamment celle d’avocat,…

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission et Mme Delphine Batho. Oh !

M. Jean-Paul Garraud. …mais je souhaite apporter quelques précisions.

En effet, il ne faut pas tout confondre : nous nous situons au niveau de l’enquête. À ce stade, le procureur de la République doit avoir la responsabilité des investigations de la police judiciaire. C’est lui le responsable, lui qui dirige et qui contrôle parce que c’est sous sa direction que se déroulent les quarante-huit premières heures de garde à vue, pendant lesquelles il va donner des instructions à la police.

C’est d’abord absolument nécessaire d’un point de vue pratique, nous le savons tous. Comment pourrait-on organiser les juges pour qu’ils puissent vraiment répondre, en temps réel, à des demandes d’intervention de la police et contrôler l’enquête sur le terrain ? On ne peut pas saisir les juges par téléphone, de jour comme de nuit ; quand ils reçoivent les parties en présence, ils peuvent mettre l’affaire en délibéré, prendre le temps de décider. Or il est nécessaire pour la police de recevoir très rapidement des directives.

Mais, au-delà du point de vue pratique, il y a l’aspect juridique. Il ne faut pas faire dire à la CEDH ce qu’elle ne dit pas. Certes, le procureur de la République n’est pas un juge. Nous savons tous qu’ils n’ont pas le même rôle : d’un côté, il y a un juge qui prononce un jugement, et, de l’autre, un parquetier qui ne juge pas, même s’il est partie poursuivante au procès.

M. Philippe Houillon. Très juste !

M. Jean-Paul Garraud. C’est au niveau du procès qu’il y a égalité des armes. Même si le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire au sens de la CEDH, il n’en demeure pas moins un magistrat. Ce point n’est pas vraiment compris : il est un magistrat au sens de l’article 66 de la Constitution de la Veme République,…

M. Claude Goasguen. Personne le dit le contraire !

M. Jean-Paul Garraud. …un magistrat garant des libertés individuelles. Ce dernier point fait l’originalité du système à la française : nous avons la chance d’avoir un magistrat qui dirige les enquêtes de police judiciaire, à la différence d’un certain nombre d’autres pays, pas si lointains d’ailleurs, où la police est livrée à elle-même, le juge n’intervenant que bien après le délai proposé par le projet de loi. La Cour européenne des droits de l’homme indique seulement que le juge doit intervenir au bout de trois ou quatre jours, alors que le projet de loi initial prévoit son intervention obligatoire au terme de quarante-huit heures. Nous allons donc même au-delà de la jurisprudence de la CEDH.

Il faut le dire sans hésitation : le patron de l’enquête de police judiciaire, c’est le procureur de la République, magistrat garant des libertés individuelles au sens de l’article 66 de la constitution française. Vouloir, comme certains collègues, introduire les règles du procès contradictoire au niveau de l’enquête, c’est, de fait, vouloir supprimer les enquêtes. Parce que si on veut absolument que le procès commence dès l’enquête, il n’y aura plus d’enquête. Comment pourrait-on mettre en place les règles du procès contradictoire alors que le dossier n’est même pas constitué, alors que la police est au tout début de l’enquête et que l’on ne sait même pas ce qui va en advenir ?

M. Philippe Houillon. Ce n’est pas l’objet du dispositif proposé.

M. Jean-Paul Garraud. Quand une affaire démarre, avec malheureusement des personnes qui ont été tuées, comment voulez-vous, une fois sur les lieux, saisir un juge pour savoir ce qu’il faut faire ? À part peut-être un juge d’instruction. Mais c’est un autre débat, que nous aborderons peut-être plus tard.

Mme Sandrine Mazetier. Qui est juge d’instruction ici ? (Sourires.)

M. Claude Goasguen. C’est de la nostalgie ! (Sourires.)

M. Jean-Paul Garraud. C’est forcément le procureur de la République qui dirige l’enquête de police judiciaire puisque le dossier n’est pas encore constitué, et ce n’est que quarante-huit heures plus tard que le juge des libertés et de la détention interviendra sur les mesures de garde à vue, notamment de prolongation. Certains ne considèrent pas le procureur de la République comme un magistrat, mais c’est une erreur fondamentale de droit car son statut ne correspond pas à la conception anglo-saxonne, laquelle ne connaît pas le magistrat du parquet. Il est vrai que certaines décisions du CEDH sont quelque peu inspirées du droit anglo-saxon, qui ne comprend pas cette différence heureuse que nous, nous avons en droit français, et qu’il faut absolument conserver.

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. S’agissant de l’indépendance des procureurs, dont notre collègue Claude Goasguen nous attribue par avance la paternité, quand l’alternance sera venue (Exclamations et sourires sur les bancs du groupe UMP), je rappelle que notre projet n’est pas celui-là : il s’agit de toucher aux règles de nomination pour que celle-ci relève du CSM.

M. Claude Goasguen. Exactement !

M. Dominique Raimbourg. Mais, mon cher collègue, le procureur restera un membre du corps chargé de mettre en oeuvre les directives de politique pénale, qui resteront l’apanage des politiques.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. C’est indispensable pour avoir une politique pénale nationale !

M. Dominique Raimbourg. Je tenais à préciser ce point pour qu’il n’y ait pas de mésinterprétations et pour éviter que l’on se dispute inutilement sur des choses qui ne correspondent pas à la réalité. Nous avons suffisamment de motifs de nous disputer sur des divergences réelles ; dissipons les fantasmes.

M. le président. La parole à est M. Sébastien Huyghe.

M. Sébastien Huyghe. Monsieur Noël Mamère, vous dites que le Gouvernement ne respecte pas le Parlement, mais vous faites une confusion entre la question de l’audition libre et celle des rôles respectifs du JLD et du procureur de la République. J’ai salué le Gouvernement, qui a respecté le Parlement, s’agissant notamment de l’audition libre : la commission des lois s’est massivement prononcée pour sa suppression, en quelques secondes, tellement nous étions d’accord sur ce point, et nous lui savons gré d’avoir suivi notre vote, dans l’esprit de la réforme constitutionnelle. Il en va complètement différemment s’agissant du rôle du JLD et de celui du procureur de la République dans le cadre de la garde à vue puisque nous avons eu de longs débats en commission, et que l’amendement de notre collègue Philippe Houillon n’a été adopté qu’à la majorité d’une voix, tellement nous étions partagés. Il est donc tout à fait logique que, dans l’hémicycle, nous ayons à nouveau ce débat. Ce n’est pas faire injure au Parlement que de demander à l’ensemble des députés de se prononcer sur un point qui a fait l’objet d’avis si partagés en commission. Je ne peux donc pas, monsieur Mamère, vous laisser dire sans réagir que l’amendement du Gouvernement ne respecte pas le Parlement.

Je voudrais ensuite répondre à notre collègue Philippe Houillon, dans le sens de la très belle démonstration de Jean-Paul Garraud. Il y a en effet deux phases : l’enquête, puis le jugement. Dans le cadre de l’enquête, le procureur de la République n’est en aucun cas une partie poursuivante : il mène ses investigations à charge et à décharge, il est – Jean-Paul Garraud l’a rappelé avec force – le garant des libertés individuelles. C’est toute la différence avec le procureur anglo-saxon, qui, lui, ne mène que des poursuites. Dans la phase de jugement, son rôle est différent car c’est seulement s’il s’est forgé une intime conviction sur la culpabilité de la personne mise en cause qu’il la poursuit.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. J’écoute avec beaucoup d’attention les arguments de ceux qui sont favorables à l’amendement du Gouvernement, mais je ne suis pas certain que ces collègues aident à son adoption quand ils disent que certains députés mettraient en avant leur profession d’avocat ou encore que cet amendement n’a été voté qu’à une voix. Je rappelle que la République a été votée à une voix de majorité.

Monsieur le garde des sceaux, votre amendement est un amendement de compromis. Tenant compte par avance d’un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 16 décembre dernier – la commission des lois s’était prononcée la veille –, il précise que le procureur de la République dirige l’enquête et a la main sur les gardes à vue, mais qu’au-delà de quarante-huit heures, le contrôle sera effectué par un magistrat du siège. Cela nous convient parfaitement. Pourquoi ? M. Garraud a raison : si nous en revenions au texte de la commission des lois, comment la mesure serait-elle appliquée sur le plan pratique ?

Monsieur le garde des sceaux, l’intérêt du débat en commission des lois a été de poser le problème du statut des magistrats du parquet et de s’approcher des interrogations de la Cour européenne des droits de l’homme. Votre amendement est un compromis entre nos préoccupations et les précisions apportées par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 15 décembre.

(Les amendements identiques nos 121 et 198 sont retirés, de même que l’amendement n° 83.)

(L’amendement n° 21 est adopté.)