Réforme Constitutionnelle et Langues Régionales

Catégories: Assemblée Nationale, Institutions, Interventions en réunion de commission

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 14 mai 2008

Séance de 9 h 30

Compte rendu n° 57 

Examen du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République (n° 820) (M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur)

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Jean-Luc Warsmann, le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République (n° 820).

La Commission est directement passée à l’examen des articles.

Avant l’article 1er :

La Commission a rejeté un amendement de M. Patrick Braouezec tendant à inscrire dans le Préambule de la Constitution le principe de l’indivisibilité et de l’opposabilité des droits fondamentaux.

Elle a ensuite été saisie d’un amendement de M. Noël Mamère visant à compléter l’article 1er de la Constitution pour y inscrire le principe selon lequel la République se reconnaît comme « plurielle et garante de la diversité qui la compose ». Après que son auteur eut indiqué que cet amendement annonçait une série d’amendements « déclinant » ce principe dans l’ensemble du texte constitutionnel, M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur, a donné un avis défavorable et la Commission a rejeté l’amendement.

M. Manuel Valls a jugé que l’importance des débats en cours justifiait que s’instaure dans la sérénité un réel dialogue républicain, que le rapporteur réponde avec précision aux arguments défendus par les différents orateurs et que le Président donne le décompte exact des voix lorsque cela lui serait demandé.

La Commission a ensuite été saisie d’un amendement de M. Noël Mamère visant à réécrire la deuxième phrase de l’article 1er de la Constitution pour préciser explicitement que la République assure l’égalité des citoyens devant la loi et rejette toutes les formes de discrimination. Son auteur a précisé qu’il s’agissait de consacrer dans la Loi fondamentale ce principe, certes déjà reconnu par la jurisprudence constitutionnelle, et d’assurer ainsi une réelle protection des citoyens, dans le respect des textes européens. Le rapporteur, ayant indiqué que le principe d’égalité est d’ores et déjà garanti par la Constitution et par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, a jugé que l’inscription dans notre Loi fondamentale de l’exception d’inconstitutionnalité, qui permettra à tout citoyen de soulever, le cas échéant, le non-respect du principe d’égalité par une loi déjà promulguée, est de nature à assurer un réel renforcement de la protection de l’égalité des citoyens devant la loi, d’autant qu’un amendement viendra étendre son champ d’application aux lois promulguées avant 1958. Il a donc invité la Commission à rejeter l’amendement.

La Commission a rejeté cet amendement.

Elle a ensuite été saisie d’un amendement de M. Arnaud Montebourg visant à supprimer le mot « race » de la deuxième phrase de l’article 1er de la Constitution. Son auteur a rappelé que, depuis des décennies, il est arrivé que les conceptions originelles des constituants de 1958 soient contestées, voire jugées dangereuses. Tel est le cas de l’usage du mot « race » dans l’article 1er de la Constitution : même s’il s’agissait bien, depuis l’origine, de lui dénier toute implication, la seule présence dans notre Constitution d’un terme scientifiquement rejeté et politiquement dangereux est contestable. L’objet de cet amendement est donc de mettre un terme à cette anomalie sémantique et politique.

Le rapporteur s’est déclaré défavorable à l’adoption de cet amendement dont il a cependant déclaré comprendre les motivations. Il a tout d’abord indiqué que cette question avait fait l’objet de plusieurs débats qui se sont toujours soldés par un vote de rejet par notre assemblée, qu’il se soit agi d’un amendement de M. Victorin Lurel en novembre 2002 ou de la proposition de loi de M. Michel Vaxès, repoussée en mars 2003. De fait, la présence du mot « race » dans notre législation est nécessaire pour combattre toutes les infractions racistes. Le constitutionnaliste Guy Carcassonne ne dit pas autre chose dans son ouvrage La Constitution de 1958 commentée, cité par l’exposé sommaire de l’amendement. Le rapporteur a ensuite rappelé que la suppression du mot « race » de la Constitution ne le ferait pas pour autant disparaître de notre droit positif, citant notamment l’article 1er de la Charte des Nations unies, l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, l’article 3 de la Convention de Genève ou bien encore l’article 10 du traité sur l’Union européenne dans sa rédaction issue du traité de Lisbonne. Suivant l’avis du rapporteur, la Commission a alors rejeté l’amendement.

Elle a ensuite été saisie d’un amendement de M. Jean-Christophe Lagarde visant à compléter l’article 1er de la Constitution pour prévoir que la « France a vocation à faire devenir citoyen français, si elle le désire, toute personne qu’elle accueille régulièrement sur son territoire et qui souhaite s’y installer ». Le rapporteur a jugé que cet amendement semble donner l’impression, par nature illusoire, que la naturalisation est un droit alors qu’à ses yeux elle doit demeurer le fruit d’une démarche volontaire de la personne concernée de rejoindre la communauté nationale. La Commission a alors rejeté cet amendement.

La Commission a ensuite rejeté un amendement de M. Patrick Braouezec visant à inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe de la « démocratie participative », le rapporteur ayant jugé inutile d’inscrire ce principe dans la Constitution, estimant qu’une telle démarche pouvait prospérer en dehors de tout cadre constitutionnel et qu’il était par ailleurs curieux de prévoir qu’il revenait aux seules collectivités territoriales le soin de l’organiser.

La Commission a ensuite été saisie de trois amendements pouvant être soumis à une discussion commune, tendant à la reconnaissance des langues régionales au sein de l’article 2 de la Constitution, respectivement défendus par MM. Noël Mamère, Jean-Jacques Urvoas et François Bayrou.

M. Noël Mamère a indiqué que son amendement tendait à prévoir que, si le français demeure la langue officielle de la République, cette dernière reconnaît également les langues régionales de France. Il a estimé que le principe de l’indivisibilité de la République ne devait pas conduire au refus de la reconnaissance des langues régionales, situation qui prévaut pourtant de fait dans notre pays. Il a ainsi rappelé que l’État espagnol consacrait soixante fois plus de crédits à la promotion des langues régionales que ne le fait notre pays et s’est déclaré favorable à une politique volontariste en la matière, les langues régionales étant le reflet de la diversité de notre pays.

M. Jean-Jacques Urvoas a expliqué que son amendement, précisant que la langue de la République est le français « dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine », visait à desserrer la contrainte pesant sur celles-ci depuis la révision constitutionnelle de 1992 qui a introduit le principe selon lequel la langue de la République est le français. Il a rappelé qu’il s’agissait alors à l’époque, à la veille de la ratification du traité de Maastricht, de défendre notre langue face à la langue anglaise très largement majoritairement parlée dans le monde et en aucun cas d’interdire la promotion des langues régionales et minoritaires. C’est pourtant ainsi que l’a interprété le Conseil constitutionnel en 1999. À l’heure où on célèbre Aimé Césaire, il s’agit par cet amendement de résoudre cette difficulté et de permettre une réelle reconnaissance de la diversité linguistique dans notre pays.

M. François Bayrou a déclaré souscrire aux arguments développés par M. Urvoas sur le dévoiement de la volonté des constituants de 1992 par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il a estimé que des trois amendements le sien était celui qui allait le plus loin puisqu’il prévoit que la République « protège » les langues régionales qui appartiennent au patrimoine de la Nation, ce qui va au-delà de leur simple reconnaissance car ce la implique la mise en place de politiques volontaristes de promotion de ces langues. Il a donc invité ses collègues à se rallier à son amendement.

Rappelant que dès 1995, le Président Chirac s’était engagé à mettre en place des mesures de protection des langues régionales dans un discours prononcé à Quimper, M. Claude Goasguen a indiqué qu’il voterait l’amendement de M. Bayrou car il était important de sortir de la situation juridique actuelle qui empêche la mise en œuvre de politiques volontaristes en la matière.

M. Michel Hunault a rappelé que le 7 mai dernier s’était tenu à l’Assemblée un débat sur les langues régionales et a souhaité citer les propos tenus à cette occasion par Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, qui a déclaré : « En donnant une forme institutionnelle à la notion de patrimoine linguistique, en inscrivant dans la loi la diversité linguistique interne, nous conforterons la bataille que nous menons en Europe et dans le monde pour favoriser le multilinguisme et la diversité culturelle ». Il a jugé que ces propos témoignaient de l’accord du Gouvernement en faveur de la reconnaissance des langues régionales.

Le rapporteur a rappelé que le débat s’était concentré depuis plusieurs années sur la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, dont la ratification pose des problèmes institutionnels, mais aussi des difficultés de principe et de pratique. Elle impliquerait en effet que les langues régionales puissent être utilisées dans la vie publique, ce qui poserait des problèmes pratiques de traduction mais aussi la question de principe de l’usage par des agents publics de langues autres que le français. Une autre difficulté est liée à l’assise territoriale de ces langues régionales qui suppose la reconnaissance de bassins géographiques, en méconnaissance du principe d’unicité de notre territoire. Il a rappelé que le débat qui s’est tenu dernièrement à l’Assemblée avait pour but d’évaluer la possibilité d’avancer sur le plan de la promotion des langues régionales en dehors de la ratification, problématique, de la Charte – que la France n’est d’ailleurs pas le seul pays à ne pas avoir ratifiée. Après avoir rappelé que la ministre de la culture et de la communication avait annoncé au cours de ce débat le dépôt prochain d’un projet de loi relatif à la promotion et la défense des langues régionales, le rapporteur a estimé que de telles avancées législatives, accompagnées de moyens financiers et humains supplémentaires, qu’il appelle par ailleurs de ses vœux, étaient possibles sans que soit modifiée la Constitution et a donc émis un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.

M. Claude Goasguen a estimé à l’inverse qu’en l’absence de révision constitutionnelle, la future loi encourrait la censure du Conseil constitutionnel.

M. Jean-Jacques Urvoas a déclaré ne pas partager la lecture faite par le rapporteur de la Charte européenne. Il a rappelé que cette dernière peut être ratifiée par un État à partir du moment où il accepte au moins 35 des 98 articles qui la composent. Missionné par le Premier ministre de l’époque, M. Guy Carcassonne avait estimé que la France pouvait signer 52 articles sans que cela ne pose de difficultés juridiques. M. Lionel Jospin avait alors accepté de signer 39 articles, relevant de la partie III de la Charte, aucun de ces points ne soulevant de problème constitutionnel, ainsi que l’a confirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1999. Il en va certes différemment de la partie II de la Charte, qui a une portée normative propre, mais qui impliquerait, en cas de ratification par la France, l’adoption d’une déclaration interprétative.

Le rapporteur a estimé que l’exemple alsacien illustre bien qu’une politique de promotion d’une langue régionale est possible sans que le cadre constitutionnel ne soit modifié. Il a ensuite cité le Conseil constitutionnel, qui a considéré, dans sa décision du 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, « qu’en vertu (des dispositions de la Charte), l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ; que les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage » et que, par ailleurs, « la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des «  groupes  » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de «  territoires  » dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ». Le rapporteur a alors estimé que deux séries de difficultés se posaient : d’une part, s’agissant de l’usage de langues autres que le français dans la vie publique et, d’autre part, s’agissant de la reconnaissance de groupes de locuteurs et de territoires, en méconnaissance des principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. Il a jugé que dans le cadre constitutionnel actuel pouvaient être envisagées des politiques volontaristes de promotion des langues régionales, dont il a d’ailleurs regretté qu’elles n’aient pas été mises en place plus tôt, dans le respect de la liberté de choix de chacun ; en revanche, à n’en pas douter, le Conseil constitutionnel censurerait une démarche obligatoire.

Après que M. Claude Goasguen eut estimé que le débat actuel n’était pas celui relatif à la Charte, M. Noël Mamère a réitéré les craintes déjà exprimées qu’en l’absence de révision constitutionnelle la future loi ne soit censurée par le Conseil constitutionnel. Il a estimé crucial que soit inscrit dans la Constitution le principe de la diversité culturelle, reconnu notamment par le traité de Lisbonne et a jugé les arguments développés par le rapporteur plus politiques que juridiques. À ses yeux, les amendements déposés ne remettent nullement en cause l’usage du français et n’impliquent pas l’évolution redoutée vers un modèle communautariste.

M. François Bayrou a estimé que la discussion était en train de s’égarer, la Charte européenne n’étant pas le sujet du débat. Il a rappelé que la question posée par ces amendements était celle de la difficulté posée par la rédaction actuelle du premier aliéna de l’article 2 de la Constitution qui interdit, en l’état, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, toute mise en œuvre de politiques actives de promotion des langues régionales. Ces amendements ne visent pas à affaiblir l’usage du français mais bien au contraire à enrichir la Constitution de la référence aux langues régionales.

M. Claude Goasguen a estimé que le rapporteur avait déplacé le débat sur un plan international alors que ce n’est pas le cœur du sujet : il s’est d’ailleurs lui-même déclaré défavorable à une ratification par la France de la Charte car certaines de ses dispositions contreviennent aux principes de notre République. Il a estimé en revanche qu’il était nécessaire de réviser aujourd’hui la Constitution pour éviter que la future loi promouvant une politique volontariste de développement des langues régionales ne soit censurée par le Conseil constitutionnel.

M. Jean-Christophe Lagarde a estimé nécessaire de reconnaître le fait que les langues régionales doivent être protégées par la République. Se fondant sur les exemples ultramarins, notamment celui de Mayotte, il a estimé que l’existence de langues locales à côté du français ne posait aucune difficulté. Dans le contexte actuel de mondialisation qui induit une crainte de perte d’identité, il a estimé urgent et nécessaire de soutenir ces amendements.

M. Jean-Jacques Urvoas ayant estimé que le problème dont il est débattu avait des implications concrètes importantes, en rappelant que les locuteurs de langue bretonne sont passés de plus de un million en 1950 à moins de 250 000 aujourd’hui, le rapporteur a maintenu son avis défavorable sur les trois amendements. Il a estimé que M. Mamère lui avait livré le meilleur argument en faveur de sa position en citant le traité de Lisbonne qui a fait l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel sans que celui-ci n’ait jugé sa reconnaissance de la diversité culturelle et linguistique contraire à la Constitution. Il y a vu la preuve qu’il n’était donc nullement nécessaire de réviser la Constitution pour mettre en œuvre des politiques de promotion de cette diversité. Après que le rapporteur eut estimé que l’amendement de M. Mamère posait en outre une difficulté en ce qu’il autorisait l’usage des langues régionales dans la vie publique, la Commission a successivement rejeté les trois amendements.

MM. François Bayrou, Bruno Le Roux et Bernard Roman s’étant étonnés du résultat de ces scrutins et ayant réclamé qu’il soit procédé à un nouveau vote, M. Jacques-Alain Bénisti, président, a refusé de faire droit à cette demande, en précisant que le dernier amendement avait été rejeté par 20 voix contre 19 et en rappelant que seuls les membres de la Commission avaient droit de vote.

M. Manuel Valls ayant fait part de ses craintes que les débats ne se déroulent pas dans l’atmosphère de sérénité nécessaire, a solennellement demandé qu’il soit procédé à un nouveau vote, et déclaré qu’à défaut il demanderait une suspension de séance.

M. Jacques-Alain Bénisti, président, a rappelé que, dans le respect des règles de fonctionnement de la Commission, il ne comptait que les votes exprimés clairement en faveur ou en défaveur d’un amendement et a indiqué avoir clairement relevé 20 votes contre et 19 votes pour l’amendement de M. Bayrou, sur les 41 députés présents en Commission.

Devant le refus du président de procéder à un nouveau vote, M. Manuel Valls a réitéré sa demande de suspension de séance.

La séance a alors été suspendue durant cinq minutes.

À la reprise de la séance, M. Jacques-Alain Bénisti, président, a donné lecture de la composition de la Commission et a précisé que M. Jérôme Lambert et Mme Élisabeth Guigou, qui assistaient à la réunion mais ne sont pas membres de la Commission, n’avaient pas pu voter valablement.