Protection du secret des sources des journalistes

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Assemblée nationale


XIIIe législature


Session ordinaire de 2007-2008



Compte rendu
 intégral

Deuxième séance du jeudi 15 mai 2008

Protection du secret 
des sources des journalistes

Discussion d’un projet de loi

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 pose le principe de la liberté de communication et précise qu’il revient à la loi de déterminer les cas où cette liberté peut être encadrée. Aux termes de cet article, la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

C’est sur ce fondement que le législateur a été amené, principalement dans la loi du 29 juillet 1881, dite « loi sur la liberté de la presse », à encadrer l’exercice de la liberté de la presse pour éviter qu’elle n’empiète sur d’autres droits fondamentaux – je pense au respect de la vie privée, à l’interdiction de la diffamation et de l’apologie de la haine raciale.

La liberté de la presse ne se conçoit pas sans que soient apportées des garanties aux journalistes dans l’exercice de leur profession et sans que soit protégé le secret de leurs sources.

Madame la garde des sceaux, si la loi du 4 janvier 1993 que vous avez citée, celle de votre prédécesseur, Michel Vauzelle, pose un principe de non-divulgation des sources des journalistes lorsqu’ils sont entendus comme témoins dans le cadre d’une procédure d’instruction, il nous faut aujourd’hui poser le principe de la protection du secret de leurs sources. Et vous l’avez dit à cette tribune il y a quelques instants : la protection des sources des journalistes n’est pas, en l’état de notre droit, garantie par la loi.

Certes, notre démocratie est aujourd’hui confrontée à de nouveaux enjeux sécuritaires, à de nouvelles menaces contre lesquelles l’État se doit de protéger ses citoyens. Pourtant, face à cette exigence de protection, les libertés ne sauraient s’effacer. Dans un État de droit, nous devons veiller à la protection des libertés individuelles et des libertés publiques, au premier rang desquelles la liberté d’expression, la liberté de la presse.

Pourtant, la liberté de la presse ne saurait être vraiment effective sans que soient apportées de sérieuses garanties aux journalistes dans l’exercice de leur activité. Poser comme principe le droit pour le journaliste de protéger ses sources revient à donner aux témoins une protection sans laquelle ils ne pourraient dévoiler leur information en confiance.

En effet, comment la liberté d’information pourrait-elle s’exercer quand les informateurs risquent d’être inquiétés ? Or notre droit actuel n’assure qu’une protection partielle du secret des sources des journalistes. Même si elle ne leur reconnaît pas le droit au secret professionnel, la loi du 4 janvier 1993 constituait déjà une avancée en leur conférant le droit de taire leurs sources lorsqu’ils sont entendus comme témoins.

Cette même loi de 1993 a également permis d’encadrer le régime des perquisitions dans les entreprises de presse en ne donnant cette faculté qu’au seul magistrat. Les députés du Nouveau Centre considèrent toutefois que des garanties procédurales doivent être ajoutées pour protéger efficacement les sources des journalistes. Nous aurons l’occasion d’en débattre.

Madame la ministre, je souhaite saluer l’engagement du Président de la République, qui, lorsqu’il était candidat, avait promis de réformer le droit en vigueur afin de renforcer la liberté d’information et donc la démocratie. Aussi est-ce avec satisfaction que nous abordons l’examen de ce texte attendu. En effet, il constitue une innovation importante en consacrant comme un principe général, dans la loi sur la liberté de la presse, le droit pour les journalistes à la protection de leurs sources.

Nous estimons, au Nouveau Centre, que ce principe ne saurait s’exercer convenablement sans une définition précise de la notion de source. Cette absence de définition légale laisserait libre cours à une interprétation qui priverait de toute portée ce principe de protection. Qu’est-ce qu’une source ? Le Conseil de l’Europe la définit par l’identification de deux éléments : la source proprement dite, qui désigne toute personne qui fournit des informations à un journaliste, et les informations permettant d’identifier une source.

La législation de certains pays européens en propose une définition plus restrictive, comme le rapporteur l’a rappelé. C’est le cas du Luxembourg, qui, dans sa loi du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias, définit la source comme toute personne qui fournit des informations à un journaliste.

Pour notre part, nous aurions aimé aller plus loin en nous inspirant de la définition du Conseil de l’Europe. De même, nous avons souhaité préciser le type d’informations concernées par la protection offerte aux journalistes entendus comme témoins. Il doit pouvoir s’agir des informations recueillies par le journaliste par témoignage, conversation téléphonique et par échanges de courriels dans l’exercice de son activité. De même, le journaliste doit pouvoir rester libre de ne pas révéler son fichier personnel ou ses contacts téléphoniques. Ce point nous paraît essentiel.

Madame la ministre, un principe ne saurait souffrir de trop d’exceptions sans risquer de voir son existence même dénaturée. Ainsi, les « nécessités des investigations », qui peuvent, à titre exceptionnel, justifier qu’on porte atteinte au secret des sources, sont un concept que nous jugeons trop vague. Puisque l’article 1er tel qu’il est rédigé permet, selon nous, de déroger au principe de protection des sources qu’est pourtant censé garantir le projet, nous avons proposé en commission une rédaction alternative.

Par ailleurs, ce texte donne une définition légale et précise de la profession de journaliste, laquelle englobe les directeurs de publication. Cette définition est d’autant plus souple qu’elle n’exige pas que le journaliste professionnel tire l’essentiel de ses ressources de son activité, et c’est une très bonne chose.

Nous aurions souhaité pouvoir étendre le régime de protection des sources offert aux journalistes aux éditeurs, qui contribuent également à l’information et à la liberté d’expression. Nous avons, à cet effet, déposé un amendement.

Enfin, à l’image de ce qui prévaut pour les avocats, l’article 2 met en place un régime spécifique en matière de perquisitions au domicile et dans les locaux où les journalistes sont amenés à travailler, y compris les locaux des agences de presse.

Nous saluons une avancée notable, mais nous aurions souhaité – nous en avons discuté ce matin sans trop de succès – placer les perquisitions effectuées dans les locaux d’une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle, d’une agence de presse ou au domicile d’un journaliste sous le même régime que celui en vigueur pour les cabinets d’avocats, qui requiert la présence du bâtonnier du barreau près le tribunal de grande instance du lieu de la perquisition. De même, j’aimerais que nous engagions une réflexion sur le secret professionnel. En effet, à la différence d’autres professions, celle de journaliste n’est pas régie par un code de déontologie et ne bénéficie pas du secret professionnel.

Voilà, madame la ministre, quelques réflexions que je voulais vous soumettre dans un esprit constructif au nom des députés du Nouveau Centre.

J’ai salué, lors de mon explication de vote sur la question préalable présentée par notre collègue Noël Mamère, l’avancée que constituait ce projet protecteur, puisque c’est la première fois qu’on garantit les sources des journalistes. Aussi, je regrette d’avoir perçu, tout à l’heure, dans le discours de M. Mamère, une mise en cause de la personnalité même du Président de la République et une injure faite à la liberté et à la qualité de la presse de notre pays. L’état de la presse, la liberté sont des sujets qui devraient être l’objet d’un certain consensus.

Même si notre collègue Folliot va défendre des amendements visant à améliorer le texte, reste qu’au nom de mes collègues, je voulais saluer cette avancée et vous dire que, en tout état de cause, les députés du groupe Nouveau Centre voteront votre projet.