Projets de convention sur le terrorisme

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SESSION DE 2005

(Première partie)

COMPTE RENDU

de la septième séance

27/01/2005 à 15:00:00

Projets de convention sur le terrorisme

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LE PRÉSIDENT (Interprétation) rappelle que l’ordre du jour appelle la discussion commune sur deux rapports sur le terrorisme, à la suite de deux demandes d’avis du Comité des Ministres.

M. Bartumeu Cassany présentera, tout d’abord, les rapports de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, portant respectivement sur le projet de convention relative au blanchiment, au financement du terrorisme, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (document 10392) et sur le projet de convention pour la prévention du terrorisme (document 10423).

M. Cosidó présentera, ensuite, l’avis oral de la commission des questions économiques et du développement sur le premier projet de convention.

Enfin M. Mercan présentera l’avis de la commission des questions politiques sur le second projet de convention.

La liste des orateurs a été close à 12 heures. Treize orateurs se sont fait inscrire et vingt deux amendements ont été déposés au total sur les deux projets d’avis présentés par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.

Le Président rappelle que le temps de parole des orateurs est limité à quatre minutes et précise que l’Assemblée doit en avoir terminé avec l’examen de ces textes, votes inclus, à 19 heures, ce qui suppose l’interruption de la liste des orateurs vers 18 h 10 afin de pouvoir entendre les répliques des commissions et procéder aux votes nécessaires.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.

M. BARTUMEU CASSANY (Principauté d’Andorre), rapporteur. – Je m’efforcerai de concentrer en un les deux exposés sur les projets de convention contre le blanchiment et contre le terrorisme.

Le projet de convention contre le blanchiment est, selon nous, une contribution importante, opportune et très utile aux efforts menés en Europe en ce domaine. Nous souscrivons donc à l’objectif recherché par les modifications substantielles apportées à la convention de 1990 sur le blanchiment.

Le blanchiment est doublement nuisible: il sape progressivement l’économie et la démocratie. Il est utile de le rappeler. Tel d’ailleurs le sens de l’amendement n° 3 dont nous discuterons tout à l’heure. Il faut parler de la fraude fiscale pratiquée à grande échelle, car elle est également liée à la criminalité économique. Les dramatiques résultats des actes terroristes nous rappellent aussi le lien existant entre certaines formes de blanchiment et le financement du terrorisme.

Il convient donc d’encourager le Comité des Ministres à redoubler d’efforts dans la mise en œuvre de la nouvelle convention. Toutefois, certaines dispositions, dans leur formulation actuelle, risquent d’entrer en conflit avec des droits fondamentaux ou d’ouvrir la voie à l’adoption de mesures qui auraient intéressé.

Notre commission tient donc à rappeler les obligations qui découlent de la Convention européenne des droits de l’homme et de ses Protocoles additionnels. Ainsi, le projet d’avis que nous présentons demande la modification de ces dispositions, de certaines de ces dispositions. Nous le faisons en suivant une seule ligne directrice: le principe fondamental de l’Etat de droit.

Ces modifications relèvent plus du domaine de la technique juridique que du domaine de l’activité politique stricto sensu. La question des mesures à prendre à l’encontre de biens liés à une activité criminelle, ainsi que la coopération internationale dans ce domaine, nécessitent, à notre avis, un équilibre délicat. Les autorités sont dans leur rôle en intervenant dans les transactions de biens en rapport ou provenant d’infractions criminelles graves. Mais ces interventions doivent être bien cadrées pour ne pas susciter des entorses au droit et à un procédé équitable ainsi qu’au droit au respect de ces biens, garantis respectivement par l’article 6 et l’article 1 de la convention européenne.

Faisons en sorte que la lutte de l’Europe contre la criminalité économique et le financement du terrorisme soit donc un progrès de l’Etat de droit et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la convention sur la prévention du terrorisme, rappelons que le terrorisme s’attaque aux valeurs fondamentales de la société et défie l’existence même de la démocratie.

Qu’il me soit permis à titre liminaire de présenter quelques réflexions.

Les terroristes sont étrangers à notre logique démocratique et parlementaire, par exemple aux débats qui traînent dans le seul dessein d’ajouter, de retirer ou d’amender un paragraphe, ils sont étrangers à la finesse avec laquelle l’on examine souvent dans toutes les traductions chaque proposition. Les terroristes, eux, utilisent toute leur haine, toute leur force, mais aussi toute notre faiblesse pour combattre et détruire la démocratie. Ils agissent, nous réagissons. Et c’est ainsi que s’écrit l’histoire.

Chaque fois que se produit un attentat, l’Europe fait preuve de sa supériorité morale. Mais il y a les victimes. Nous avons appris que le Comité directeur pour les droits de l’homme a récemment adopté un projet de ligne directrice sur le dédommagement et l’aide aux victimes des actes de terrorisme. Pourtant, il faut bien le constater, jusqu’à maintenant, l’Europe n’a pas été à la hauteur des circonstances. Les victimes du terrorisme ont besoin d’une reconnaissance politique et même d’un rôle institutionnel. On ne peut pas les tuer à nouveau par l’oubli.

Leur voix, leur vérité doivent être présentes là où sont prises les décisions pour combattre ceux qui ont fait de ces personnes, bien malgré elles, les protagonistes d’un drame. Nous faisons régulièrement la preuve de notre capacité à réagir face aux tragédies. Il est grand temps de montrer que nous sommes capables d’agir pour les éviter!

Il y a besoin de nouveaux instruments dans la lutte contre le terrorisme. N’avoir qu’une convention globale serait notre idéal; mais cela ne semble pas possible à l’heure actuelle, peut être pour des raisons politiques, voire pour des raisons techniques. Une convention de portée limitée, à l’instar de celle que prépare le Codexter, Comité d’Experts sur le Terrorisme, pourrait cependant être utile. Le projet de convention actuel rend possible la poursuite de crimes afférents au stade préparatoire des crimes de terrorisme, mais toute convention doit se conformer à certains principes: respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit, actions précises pour préserver le principe de sécurité juridique, conformité aux principes et aux dispositions du droit international.

Il convient également de se référer à quelques considérations pratiques.

Le Codexter doit encore travailler avant d’adopter le projet de convention. Il n’est pas achevé. La signature de la convention sur le terrorisme est prévue pour le troisième Sommet en mai 2005. Nous ne devrions pas compliquer à souhait le travail du Codexter, tant il est vrai que cela pourrait mettre en péril la fin des travaux avant le Troisième Sommet et donc l’adoption de la convention.

Dans cet esprit, les amendements que je propose sont de deux sortes. Premièrement, ceux qui proposent des modifications, des additifs au texte, sont généralement destinés à renforcer le respect des droits de l’homme, mais aussi à préciser le texte. Deuxièmement, ceux qui proposent de supprimer des articles sont destinés à éviter des incompatibilités avec d’autres traités ou dispositions du droit international, ou encore à éliminer ce que nous considérons comme des manquements aux principes de sécurité juridique.

Plusieurs amendements ont été déposés au projet d’avis. Je veux bien, la commission aussi, en accepter quelques uns. Toutefois, pour certains, nous ne saurions les accepter sans faire entorse aux principes généraux déjà mentionnés sur la défense des droits de l’homme et de l’Etat de droit. (Applaudissements)

LE PRÉSIDENT (Traduction). – La parole est à M. Cosidó, pour présenter l’avis oral de la commission des questions économiques et du développement sur le premier projet de convention.

M. COSIDÓ (Espagne), rapporteur pour avis, (Interprétation) se déclare particulièrement honoré d’intervenir aujourd’hui, pour la première fois, devant l’Assemblée et ce, d’autant plus que ce rapport est tout à fait excellent.

En tant qu’Espagnol, M. Cosidó est particulièrement sensible à la question du terrorisme. L’histoire de son pays est endeuillée par des attentats tragiques, dont l’un des plus récents, à Madrid, a marqué cruellement les esprits. L’expérience acquise par l’Espagne au cours des dernières décennies l’a conduite à tirer des leçons sur la prévention du terrorisme. Tout d’abord, la lutte contre ce fléau, pour être efficace, doit intervenir dans un cadre international. C’est pourquoi on ne peut que se féliciter de ce projet de convention sur la prévention du terrorisme.

Ensuite, il faut combattre sur tous les fronts et avec tous les instruments de l’Etat de droit. Enfin, la prévention du terrorisme est directement liée à la lutte contre la drogue. En effet, il est prouvé que les terroristes tirent leurs ressources financières du trafic de stupéfiants. Les explosifs utilisés à Madrid avaient été payés par la drogue. Les difficultés sont grandes puisque, même avec peu de moyens, les terroristes arrivent à faire beaucoup de dégâts. En outre, leur but n’est pas de blanchir l’argent mais au contraire de le conserver par des voies occultes. Il faut enfin se garder, en voulant lutter contre le blanchiment de l’argent sale, de porter atteinte aux libertés économiques et aux droits des individus.

M. Cosidó insiste sur la nécessité d’anticiper les attentats terroristes au lieu de se borner à réagir. La commission des questions économiques et du développement s’intéresse, depuis le 11 septembre, à la lutte contre le terrorisme et a présenté un rapport sur ce thème, il y a deux ans, devant l’Assemblée. Elle remercie la commission des questions juridiques et des droits de l’homme d’avoir retenu ces deux amendements. (Applaudissements)

LE PRÉSIDENT (Traduction). – La parole est à M. Mercan, pour présenter l’avis de la commission des questions politiques sur le second projet de convention.

M. MERCAN (Turquie), rapporteur pour avis, (Interprétation) déclare que le Conseil de l’Europe, parce qu’il défend les droits de l’homme, cherche à protéger chaque individu dans le monde. Les victimes du terrorisme ont des droits et méritent d’être défendues, mais à aucun moment cela ne doit se faire au détriment des libertés individuelles. Il convient de trouver un équilibre entre les droits de chacun et les droits des victimes. C’est le sens des amendements qui ont été déposés par la commission des questions politiques. Le Conseil doit appuyer tous ceux qui, dans le monde, combattent le terrorisme de manière à prévenir ses effets dévastateurs. A plusieurs reprises, l’Assemblée s’est saisie de cette question dans le cadre de débats d’urgence.

Cet hémicycle est le seul qui protège aussi efficacement les droits de l’homme. L’amendement proposé par la commission des questions politiques renvoie à cet aspect du rapport par ailleurs excellent. (Applaudissements)

LE PRÉSIDENT (Interprétation) ouvre la discussion générale et donne la parole est à M. Kaufmann.

M. KAUFMANN (Suisse) (Interprétation) s’exprime au nom du Groupe libéral, démocrate et réformateur. Il est originaire d’un pays où la législation concernant le blanchiment de l’argent est particulièrement stricte. Ce qui est prévu dans cette convention a déjà été intégré dans la législation helvétique. L’orateur est membre du comité directeur d’une grande société qui contrôle les activités de blanchiment. Il a donc l’expérience nécessaire pour émettre quelques commentaires à propos du projet qui est présenté.

La convention devra s’appliquer pour toutes activités bancaires mais aussi pour toutes activités non bancaires. Cela nécessite du personnel qu’il faut former, ce qui a un certain coût. Il faut aussi que tous les pays soient partie prenante sinon le dispositif restera inefficace. Si le projet de convention défend une cause noble, il faut regretter que les problèmes concrets n’aient pas été réglés et notamment celui du respect du droit individuel.

L’orateur désire mettre l’accent sur les difficultés que l’on peut rencontrer concrètement. Après les attentats du 11 septembre, les Etats Unis ont fait circuler des listes de suspects. La Suisse a certes détecté certains comptes suspects mais n’a jamais reçu de preuve tangible quant à l’activité terroriste des titulaires de ces comptes. Sont ce dès lors de véritables terroristes ou de simples opposants à un régime qu’on essaie de poursuivre par ce biais? La Suisse dispose de mécanismes de contrôle très stricts qui lui permettent de détecter un certain nombre de transactions suspectes. On accuse de ce fait la Suisse d’être un paradis pour le blanchiment de l’argent alors que ce pays est simplement mieux équipé en matière de dépistage. Ceux qu’il faut condamner, ce sont les banquiers qui ont viré l’argent sale en Suisse. Leurs banques auraient dû se doter de meilleurs mécanismes de contrôle.

Le projet de convention ne règle pas ces différents problèmes. (Applaudissements)

M. Iwiski, Vice Président de l’Assemblée, prend place au fauteuil de la présidence.

LE PRÉSIDENT. – La parole est à M. Hunault.

M. HUNAULT (France). – Monsieur le Président, mes chers collègues, je voudrais d’abord saluer le remarquable travail de nos rapporteurs sur ces deux textes particulièrement importants que sont le projet de convention pour la prévention du terrorisme et le projet de convention relatif au blanchiment, au financement du terrorisme, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime.

Au cours de cette session, plus que jamais, le rôle de notre assemblée est apparu essentiel pour garantir les valeurs de la démocratie et du respect des Droits de l’homme, valeurs universelles que nous devons préserver.

C’est dans cette dimension que s’inscrit la discussion de ces deux conventions. En effet, en ce début de siècle, les menaces ont pour noms «terrorisme», «corruption», «blanchiment». Notre assemblée est parfaitement dans son rôle lorsqu’elle s’attache à les combattre et, surtout, à les prévenir.

Il convient néanmoins de s’attacher à concilier la lutte contre le terrorisme avec la lutte pour le respect des droits de l’homme les plus essentiels, car le but même des terroristes et des activités criminelles organisées, c’est de s’attaquer aux fondements, aux principes mêmes de nos organisations démocratiques. D’ailleurs, dans sa dernière session, le Conseil de l’Europe a adopté une convention intitulée “Lutte contre le terrorisme et respect des droits de l’homme”.

Le projet de convention que nous examinons cet après midi érige en infraction des agissements préparatoires aux actes terroristes et encourage la prévention. Cela doit être salué et encouragé, mais veillons qu’en toutes circonstances, les instruments dont nous nous dotons grâce à cette convention concilient lutte et prévention du terrorisme avec la dignité de l’homme, la préservation de la présomption d’innocence, le droit à la garde à vue et des instructions qui se déroulent dans la transparence et la dignité.

La lutte contre le terrorisme est un défi. Nous condamnons avec fermeté les actes terroristes. Mais nous devons, dans le même temps, rester fidèles aux principes juridiques dont le Conseil de l’Europe est le dernier rempart. Ainsi, veiller à ne pas autoriser l’extradition vers des pays qui n’ont pas aboli la peine de mort est pour nous une obligation.

Le nouvel instrument de coopération juridique est nécessaire. Prévenir le financement du terrorisme est une obligation. C’est dans cette perspective qu’il convenait d’actualiser la convention de 1990 contre le blanchiment, dont notre assemblée était à l’origine.

La lutte contre le blanchiment de l’activité criminelle organisée s’inscrit dans une longue marche vers l’éthique, pour une plus grande traçabilité des mouvements financiers. Cette convention vise à lutter contre le recyclage de l’argent d’activités criminelles organisées: argent de la drogue, filières de travail clandestin, filières d’immigration illégale, filières de prostitution. Cette activité criminelle représente près de 1 800 milliards de dollars par an, soit l’équivalent du produit d’un pays comme la France ou l’Angleterre.

Depuis la précédente convention du Conseil de l’Europe, la communauté internationale s’est dotée d’instruments nouveaux. Je pense notamment au GAFI. L’Union européenne s’apprête à publier une nouvelle directive. La convention dont nous discutons cet après midi s’inscrit dans cette perspective. La lutte contre le financement du terrorisme permettra d’assécher les sources de son financement.

Mais comment ne pas s’élever contre la réticence de certains Etats membres de notre assemblée qui, à ce jour, n’ont toujours pas ratifié la convention de 1990 ni les conventions pénales contre la corruption?

Avec l’adoption de ces deux conventions relatives à la lutte contre le terrorisme et à la lutte contre le blanchiment, le Conseil de l’Europe concourt à se doter des moyens juridiques à même de promouvoir la lutte pour un monde moins corrompu, plus proche des valeurs dont nous sommes les dépositaires. (Applaudissements)