Programmation militaire pour les années 2009 à 2014

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Assemblée nationale


XIIIe législature


Session ordinaire de 2008-2009



Compte rendu
 intégral

Première séance du mardi 9 juin 2009 

Programmation militaire pour les années 2009 à 2014

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense (nos 1216, 1615, 1558, 1720, 1552).

Article 13

 

M. le président. Sur l’article 13, je suis d’abord saisi de deux amendements identiques, nos 117 et 118.

La parole est à M. le rapporteur pour avis pour défendre l’amendement n° 117.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. Cet amendement est important car il introduit une véritable innovation.

Au début de notre discussion, la liste des lieux classifiés par nature secret défense, c’est-à-dire ceux où il suffit d’entrer pour prendre connaissance d’un élément classifié, était secrète. Or nous craignions la multiplication de ce nombre de lieux, sachant qu’ils bénéficient d’une protection maximale.

Le présent amendement apporte à cet égard deux modifications importantes.

Premièrement, la décision de classification est limitée dans le temps : elle durera cinq ans. Au terme de cette période, la procédure devra être reprise avec un avis de la commission consultative dans l’hypothèse où le Premier ministre déciderait de proroger cette classification.

Deuxièmement, la décision de classification sera publiée au Journal officiel. Dans la mesure où elle sera ainsi rendue publique, la connaissance de ces lieux sera relativement large et pourra faire l’objet d’une forme de contrôle démocratique.

Nous considérons que cet amendement répond aux objections de la commission des lois.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour présenter l’amendement n° 118.

M. Yves Fromion, rapporteur. Ces amendements identiques répondent à un problème que le texte initial n’avait pas totalement pris en compte. Les lieux abritant des secrets de la défense nationale figureront sur une liste qui sera en permanence révisée. La procédure proposée est symétrique à celle de l’article 12. Elle vaudra pour les lieux qui abritent des secrets et pour ceux qui sont classifiés.

J’invite mes collègues à adopter ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. J’ai écouté avec beaucoup d’attention cette longue discussion sur les articles 12 et 13 et je tiens à saluer l’immense travail accompli par les présidents des commissions de la défense et des lois. L’opposition a d’ailleurs voté un certain nombre d’amendements. Nous souhaitions tous que le secret défense ne soit pas un moyen d’entraver l’action des magistrats et que certains lieux ne deviennent pas ainsi des lieux de non droit.

Pour avoir eu l’honneur d’être rapporteur de nombreux textes, notamment sur la transposition de textes européens sur la corruption, je veux souligner que, dans ces domaines, au cœur d’intérêts financiers mais aussi d’intérêts supérieurs de la nation, chacun d’entre nous doit faire preuve d’une très grande vigilance.

Ces amendements témoignent précisément de cette volonté de faire en sorte que la classification même des lieux secret défense soit remise en cause au bout de cinq ans. La liste ne sera pas établie pour une durée supérieure. Dans les amendements précédents, les rapporteurs ont par ailleurs donné toutes les garanties quant au contenu même du secret défense pour permettre aux magistrats d’exercer leurs fonctions.

Tous ces amendements témoignent d’une réelle volonté tant de l’exécutif que de l’ensemble de la représentation nationale de trouver le bon équilibre. Certes, le secret est parfois nécessaire mais l’action des magistrats ne doit jamais être entravée.

M. le président. Mes chers collègues, vous êtes nombreux à vouloir intervenir. Je vous rappelle donc qu’aux termes du règlement, après la présentation d’un amendement, la commission et le Gouvernement donnent leur avis puis deux orateurs peuvent s’exprimer, sauf s’il y a un orateur contre.

Monsieur Soisson, êtes-vous pour ou contre l’amendement ?

M. Jean-Pierre Soisson. Je voudrais demander une précision.

M. le président. Non !

M. Jean-Pierre Soisson. Alors, je suis contre !

Les amendements nos 117 et 118 se substituent-ils à l’amendement n° 82, qui, lui, prévoyait un avis conforme de la CCSDN ?

M. Yves Fromion, rapporteur. Non.

M. Jean-Pierre Soisson. Donc l’amendement n° 82 tombera. Il s’agira ainsi d’un avis purement consultatif.

Nous avons eu un débat sur ce point en commission. Monsieur Blessig, je vous rappelle que je ne souhaitais pas qu’une commission administrative oblige le Gouvernement à prendre telle ou telle décision.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Jean-Pierre Soisson. Il y aura donc un avis, mais il ne devra pas être obligatoirement conforme.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Fromion, rapporteur. Il faut en effet éclairer nos collègues, car il subsiste peut-être une sorte d’imprécision sur le sujet.

Il n’est pas question d’un avis conforme de la CCSDN,…

M. Jacques Myard. Heureusement !

M. Yves Fromion, rapporteur. …qui lierait le Gouvernement. Nous sommes tout à fait clairs sur ce point. La CCSDN émettra un avis puisqu’elle sera saisie sur l’établissement de la liste et sur l’opportunité d’y faire figurer des établissements classifiés, mais il n’est pas question d’un avis conforme.

M. Jacques Myard. Ce serait anticonstitutionnel !

M. Yves Fromion, rapporteur. Je veux également apporter une autre précision sur un point qui peut interpeller certains d’entre nous.

S’agissant de lieux classifiés, on pourrait considérer que publier cette liste au Journal officiel n’est pas d’une prudence extraordinaire. Je veux dire ici que ce point a été abordé dans les discussions que nous avons eues en commission des lois et avec le ministre : il est entendu que la liste publiée n’entrera pas dans des détails excessifs, ce qui irait à l’encontre de l’intérêt même du secret de la défense nationale et des intérêts supérieurs de l’État.

M. Jean-Pierre Soisson. Je l’espère !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. J’ai eu l’occasion de souligner hier la révolution que constituait, dans le droit français, le fait de passer de la protection du contenu à la protection du contenant.

J’ai eu l’occasion de souligner hier combien ce type de procédure, entrant dans notre droit, pouvait entraîner des dérapages. Nous avons tout fait pour essayer de les limiter. C’est le sens de l’amendement.

Il n’en reste pas moins que j’espère que nous n’aurons jamais à connaître cela dans notre pays. Je l’espère vraiment.

Pour limiter ce risque, la première solution est de rendre la liste publique. Parce qu’il n’y aura pas que la première liste : tout gouvernement, à l’avenir, pourra l’allonger, pourra classifier.

M. Yves Fromion, rapporteur. Ou au contraire déclassifier.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Ou déclassifier, évidemment.

Le fait que cette liste soit publiée permettra l’exercice d’un contrôle démocratique contre l’abus de classification. Imaginez qu’un jour, il y ait un abus manifeste. Du fait que la liste sera rendue publique, les représentants de la nation pourront, ici, dans cet hémicycle, interroger le Gouvernement et exercer leur pouvoir de contrôle.

Il peut également y avoir un abus d’utilisation. Les militaires, contre leur gré, pourraient se voir dans l’obligation de laisser faire dans des lieux classifiés des actions contraires à la loi. Cela est arrivé, à certaines époques, en certains lieux, à l’initiative de certains pouvoirs exécutifs. Il ne faudrait pas qu’un jour, on utilise ces dispositions, car aucun juge ne pourra pénétrer dans ces lieux classifiés sans l’autorisation personnelle du ministre.

Nous avons voté un amendement, qui a d’ailleurs été repris par la commission de la défense, et qui tend à insérer à l’article L. 2312-5 du code de la défense une disposition permettant notamment au président de la commission d’entrer dans ces lieux classifiés. Cela évitera un abus d’utilisation de ces lieux.

Cependant, nous sommes bien conscients – je l’ai dit à la tribune hier – que c’est de la nitroglycérine que d’utiliser ce type de protection de certains lieux en en interdisant l’accès aux juges. Je suis persuadé que nous avons fait de grands pas en avant. Que la liste des lieux classifiés soit rendue publique, que la classification d’un lieu ne soit pas valable ad vitam aeternam mais seulement pour cinq ans, cela permet un contrôle démocratique, et cela évite que les choses s’enkystent. À cela s’ajoute la possibilité pour le président de la commission d’aller voir sur place.

J’espère que cette garantie permettra d’éviter les abus d’utilisation des lieux classifiés. Chacun a bien compris ce à quoi je voulais faire allusion, par rapport à l’histoire parfois triste des dernières décennies.

M. le président. La parole est à M. Michel Grall.

M. Michel Grall. Je vais être très bref. Je ne peux pas concevoir, au nom de la sécurité nationale, que des cibles potentielles pour d’éventuels terroristes soient publiées tous les cinq ans au Journal officiel de la République française. Personnellement, je voterai contre cet amendement.

M. Jacques Myard et M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Imaginez, monsieur Grall, que la liste ne soit pas publiée et qu’un jour vous poussiez la porte d’un lieu classifié : j’irai vous voir en prison. Je ne vois pas du tout comment vous pourrez savoir que ce lieu est classé « secret défense », puisque vous n’aurez aucun moyen de consulter la liste. Il faudra donc inscrire partout sur les portes : « Attention, lieu classifié, secret défense ». Les terroristes pourront voir ces inscriptions avec des jumelles : ce sera encore pire. Je pense que la sagesse veut effectivement que la liste soit publiée. C’est la moindre des choses.

Cela étant c’est un peu difficile pour nous, monsieur le président, parce qu’il y a eu un débat auquel nous n’avons pas assisté. Les uns et les autres apportent des éléments, pas forcément dans l’ordre. Il faudrait qu’on s’y retrouve, ce qui n’est pas simple.

Nous ne voterons pas l’article 13, d’abord parce que nous partageons complètement le doute exprimé par le président de la commission des lois. Je suis ravie qu’il l’exprime ici, parce que, quand nous l’évoquions en commission de la défense, nous passions pour des gens à la limite de la normalité républicaine, pour ne pas dire autre chose. Je lui sais donc gré d’avoir tenus ces propos.

Qui plus est, cet article n’est pas conforme à l’ordre des choses, au sens premier de cette expression. L’alinéa 9 de l’article 13 dispose en effet que « seuls peuvent faire l’objet d’une classification au titre du secret de la défense nationale les lieux auxquels il ne peut être accédé sans que, à raison des installations ou des activités qu’ils abritent, cet accès donne par lui-même connaissance d’un secret de la défense nationale ». Cette disposition aurait dû au moins figurer avant l’article 12. Figure en effet dans l’article 13 la définition de ce qui aurait dû conduire aux alinéas de l’article 12. La rédaction de ce texte pose donc problème.

En outre, vous définissez, dans l’article 13, les conditions de la classification de ces fameux lieux classifiés sur lesquels tout le monde a un doute. Je rappelle qu’en commission, nous avons obtenu, s’agissant des garanties juridiques, que l’on impose un décret en Conseil d’État. Nous en sommes tous d’accord. Le ministre lui-même l’a souligné en commission.

Ce que nous avons écrit dans nos notes n’a pas été rappelé par les uns ou par les autres. Il suffit que cela soit dit sur le banc des ministres pour que nous soyons rassurés.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Je rappelle des éléments qui ont peut-être déjà été évoqués à différents moments dans le débat.

La liste publiée sera très générale, le lieu sera connu de tous, mais sans précisions. L’arrêté sera doublé d’une annexe non publiée, elle-même classifiée, qui comportera, sous le contrôle du Conseil d’État, les précisions utiles.

(Les amendements identiques nos 118 et 117 sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, l’amendement n° 82 tombe.

(L’article 13, amendé, est adopté.)