Lutte contre la récidive

Catégories: Assemblée Nationale, Interventions en réunion de commission, Justice, Sécurité

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 9 décembre 2008

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 21


Audition de Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice et examen en application de l’article 86, alinéa 8 du Règlement, du rapport de mise en application de la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (M. Guy Geoffroy, rapporteur et M. Christophe Caresche, co-rapporteur). 

La Commission procède à l’audition de Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice et examine en application de l’article 86, alinéa 8 du Règlement, sur le rapport de M. Guy Geoffroy, rapporteur et M. Christophe Caresche, co-rapporteur la mise en application de la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

La séance est ouverte à 16 heures 30

Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice. La façon dont vous avez présenté l’application de la loi de 2007 appelle quelques précisions.

En cas de récidive, un magistrat peut fonder sa décision sur ce texte, mais aussi sur d’autres dispositions pénales, en fonction des éléments constitutifs de l’infraction. Dans cette hypothèse, on ne saurait parler de « contournement » ou de « détournement » de la loi. Tout démontre au contraire qu’elle est parfaitement adaptée et bien appliquée.

Je rappelle que cette loi traduit un engagement fort du Président de la République et qu’elle répond à une véritable attente des Français. Alors même que les cas de récidive augmentaient, il n’existait pas, jusqu’en 2007, de cadre juridique permettant de lutter contre ce phénomène en tant que tel. Nous devions par ailleurs restaurer l’autorité de la justice en veillant à la bonne application des peines.

S’agissant des statistiques, on avait constaté une augmentation de la délinquance de 17,8 % entre 1997 et 2002 – et même de 50 % pour les atteintes aux personnes et de 16,8 % pour la délinquance des mineurs. Dans le même temps, le nombre des condamnations a baissé de 11 % pour l’ensemble des délits, et de 5 % pour ceux commis par les mineurs. Sans que l’outil statistique change, la délinquance générale a ensuite diminué de 9,4 % de 2002 à 2007 ; les actes de délinquance commis par les mineurs ont en revanche crû de 12,9 % au cours de la même période.

Dans ce contexte, le Président de la République a décidé de prendre ses responsabilités en renforçant la protection des Français et en augmentant les sanctions applicables aux délinquants. Les réformes que nous menons depuis dix-huit mois reposent sur deux principes complémentaires : une politique pénale dont la fermeté est clairement assumée, mais aussi une politique d’humanité, visant en particulier à la réinsertion des personnes détenues, laquelle est également un instrument de lutte contre la récidive.

Le principe de fermeté est au cœur de cette loi, qui systématise notamment l’injonction de soins pour les délinquants sexuels, mais c’est également le fondement d’autres textes, comme celui sur la rétention de sûreté. En attendant l’élaboration d’un nouveau code de la justice pénale des mineurs, j’ai donné pour instruction au parquet d’apporter une réponse pénale à chaque infraction commise par un mineur. On constate déjà une augmentation du taux de réponse pénale, ainsi qu’une diminution de ce type de délinquance dans le ressort de certaines cours d’appel.

D’autre part, nous avons décidé qu’il n’y aurait plus de régulation de la population carcérale par l’intermédiaire des grâces collectives, des lois d’amnistie et des réductions de peines automatiques. Sur ce dernier point, je rappelle qu’auparavant les détenus savaient, dès leur entrée en prison, à quelle réduction de peine ils pouvaient prétendre même en l’absence de tout effort ou de garanties sérieuses de réinsertion.

Nous avons par ailleurs engagé une rénovation du parc pénitentiaire – plus de 3 000 places ont déjà été construites à ce jour –, mais aussi décidé la création d’établissements pour mineurs et institué un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. En outre, vous débattrez bientôt de la future loi pénitentiaire, qui sera un texte fondateur.

Sans revenir sur le détail de la loi du 10 août 2007, je dirai que tout démontre qu’elle est largement appliquée par les magistrats en vue de lutter tant contre la récidive des majeurs que contre celle des mineurs, et cela bien que les juges conservent leur indépendance et qu’aucune peine automatique n’ait été instaurée. Lorsqu’un juge estime qu’une peine n’est pas adaptée, il reste en effet libre de ne pas la prononcer.

Alors que jusqu’à maintenant seule prévalait une règle générale de doublement des peines encourues en cas de récidive, les magistrats disposent désormais d’une base juridique très claire. En cas de vol simple, on risquait par exemple trois ans de prison, contre six en cas de récidive, mais le parquet ne savait pas systématiquement dans quel cas l’on se trouvait. Grâce à la nouvelle loi, ce n’est plus le cas.

Au 1er décembre 2008, les magistrats ont prononcé des peines plancher dans 50 % des 18 358 cas de récidive dont ils ont été saisis. Parmi les quelque 9 000 condamnations, le taux de peines de prison ferme s’élève à 37,4 %, et le taux d’appel du parquet à 9,2 %, soit près de deux fois plus que la moyenne en matière correctionnelle. Sur 360 mineurs jugés en état de récidive, 155 ont par ailleurs été condamnés à une peine plancher, ce qui correspond à un taux de 43,1 %.

La loi du 10 août 2007 me semble donc bien appliquée. M. Caresche semble regretter qu’elle ne le soit pas dans 100 % des cas, mais cela ne saurait être l’objectif d’un texte pénal…

Pour ma part, je demeure attachée à la notion d’individualisation des peines et au pouvoir d’appréciation laissé aux juges, deux principes qui permettent de faire place à des considérations d’humanité et d’équité, et qui ne sont nullement remis en cause par ce texte, comme le Conseil constitutionnel l’a rappelé.

Contrairement à ce qu’affirme M. Caresche, la loi du 10 août permet de lutter contre tous les types de criminalité, qu’il s’agisse de la criminalité organisée, du trafic de stupéfiants ou de délinquance de proximité, qui affecte la vie quotidienne de nos concitoyens. C’est aussi cela, le principe d’égalité devant la loi !

Parmi les peines plancher prononcées, 58,8% ont concerné des cas de vol et d’atteinte aux biens et 22 % des cas de violences. S’agissant de ces dernières, la peine minimale a été prononcée dans près de 70 % des cas de violences conjugales en récidive – ce qui est pour moi un motif particulier de satisfaction, car ce fléau était encore considéré, voilà cinq ans, comme un sujet mineur. Des peines plancher ont également été prononcées dans 62 % des cas de violences sexuelles et dans 61,6 % des cas de violences autres que sexuelles et autres que sur conjoints. Si cette loi permet de sauver ne serait-ce qu’une femme victime de violence conjugale, elle présente déjà une utilité à mes yeux.

J’ajoute que ses effets dissuasifs sont déjà bien établis. Tous le reconnaissent, tant les magistrats que les détenus eux-mêmes : chacun sait que, maintenant, l’on « risque gros » en cas de récidive. Au demeurant, on a constaté une baisse de 4,2 % de la délinquance générale en douze mois, et même de 6,8 % en ce qui concerne les atteintes aux biens. Pour la première fois depuis 1995, les atteintes aux personnes ont également décru de façon constante depuis mars 2008 – nous en sommes aujourd’hui à 1 % de baisse.

Le texte a également permis d’améliorer le dispositif d’injonction de soins, qui a été étendu à d’autres mesures que le suivi socio-judiciaire et qui a rendu automatique pour les délinquants sexuels : ces derniers ne peuvent plus bénéficier de libération conditionnelle ni de remise de peine s’ils refusent de se soigner.

S’agissant des médecins coordonnateurs, leur nombre est passé de 147 à 211 entre juin 2006 et octobre 2008. L’application des dispositions relatives à l’injonction de soins avait d’ailleurs été différée afin de permettre des recrutements supplémentaires. L’indemnité annuelle qui leur est versée a en outre été revalorisée de 164 % – elle s’élève à 700 euros depuis 1er janvier 2008 –, tandis que le nombre des personnes que peut suivre chaque médecin coordonnateur a été porté de 15 à 20. Ces efforts devraient très rapidement produire leurs fruits, notamment en ce qui concerne les délinquants sexuels.

Je précise également qu’il n’y a aucune incohérence entre la loi du 10 août 2007 et notre politique d’aménagement des peines. Un principe de fermeté doit certes s’appliquer à l’égard des récidivistes, car ils doivent être condamnés et leur peine doit être exécutée ; toutefois, l’aménagement des peines favorise non seulement la réinsertion des détenus, mais il permet également d’éviter la récidive. Le taux de récidive s’élève ainsi à 60 % en cas de sortie sèche de prison, tandis qu’il est réduit des deux tiers en cas d’aménagement des peines.

J’en viens à la question de la surpopulation carcérale, qui n’a rien de politique à mes yeux. Depuis 1985, le nombre de places n’a jamais été égal à celui des détenus, de sorte que tous les gardes des sceaux qui se sont succédé depuis Robert Badinter, toutes sensibilités confondues, ont dû s’efforcer de gérer le problème, notamment en construisant de nouvelles places de prison.

À cet égard, le plus important programme a été engagé en 1987 par Albin Chalandon, qui a fait construire 13 000 places supplémentaires. On a en revanche constaté une diminution de 4 % des places de 1997 à 2002. Je ne contesterai pas les fermetures qui ont alors été décidées, car nos prisons n’étaient pas dignes, mais il est regrettable qu’aucune mesure de compensation n’ait été prise. C’est la majorité actuelle qui a lancé un ambitieux programme de construction de 13 200 places, aujourd’hui en cours de réalisation. Je m’étonne que l’on se permette de déplorer la surpopulation actuelle alors que l’on n’a pas construit de places de prison quand c’était nécessaire.

Il est vrai que les bracelets électroniques ont fait leur apparition depuis quelques années, mais il nous reste à préserver la dignité des personnes qui continuent à être privées de leur liberté. C’est un devoir qui nous incombe à tous, que nous soyons de droite ou de gauche.

D’autre part, si j’ai mené une politique volontariste d’aménagement des peines depuis mon arrivée à la Chancellerie, c’est parce qu’une telle politique tend à favoriser la réinsertion des détenus et, ainsi, à éviter la récidive. Alors que seules 2 000 peines étaient annuellement aménagées de 2002 à 2007, en application de lois d’amnistie, des réductions automatiques de peines et des grâces collectives, il a été décidé de ne plus recourir à ce type de mesures et, pourtant, le nombre de peines aménagées a triplé en un an. Afin de parvenir à ce résultat, j’ai notamment pris un décret instituant des conférences régionales d’aménagement des peines, lesquelles ont fait la preuve de leur efficacité. Au demeurant, je précise que les mesures concernées sont des décisions prises par des magistrats du siège, et non des mesures administratives ou automatiques.

Il me semble que l’on peut déjà se montrer satisfait des résultats obtenus dans ce domaine, même si nous n’avons pas encore rempli tous nos objectifs. Je souhaite en effet que la surpopulation carcérale cesse d’ici à 2012, et que les personnes privées de leur liberté le soient désormais dans la dignité. Dans cette perspective, les mesures d’aménagements de peine devraient être facilitées par la future loi pénitentiaire, qui offrira des outils nouveaux aux juges de l’application des peines.

Pour ce qui est des bracelets électroniques, je rappelle que l’on en comptera 2 500 de plus en 2009 et que leur nombre total devrait être porté à 12 000 d’ici à 2012. Cela signifie 12 000 détenus en moins dans nos prisons, dont les capacités devraient alors atteindre 63 000 places.

S’agissant de la cohérence dans l’application de la loi du 10 août 2007 sur l’ensemble du territoire, vous savez que je veille au respect du principe d’égalité. Le taux de recours aux peines plancher peut certes varier dans des proportions notables selon les cours d’appel, puisqu’il est compris entre 34 et 70 % des condamnations prononcées ; toutefois, je rappelle que nous ne disposons pas encore d’indicateurs précis concernant la nature des condamnations prononcées et l’exécution des peines.

C’est pourquoi j’ai souhaité que nous disposions d’un nouvel instrument de mesure de la récidive dès le début de l’année 2009. Nous y travaillons déjà depuis quelques mois. Par une instruction en date du 24 septembre 2008, j’ai demandé que l’état de récidive soit systématiquement relevé. Pour le moment, force est de constater que le casier judiciaire n’est pas systématiquement à jour au moment des audiences et que les condamnations prononcées ne sont pas nécessairement réactualisées, surtout quand elles ne sont pas encore définitives.

Dans le ressort de la cour d’appel de Paris, il existe, c’est vrai, de grandes disparités. Des peines plancher sont prononcées dans 80 %, voire 90 % des cas à Fontainebleau, soit bien plus qu’au tribunal de grande instance de Paris. Cela étant, il faut avoir conscience que le relevé des condamnations est encore réalisé de façon manuelle dans ce dernier tribunal. Les formulaires n’étant pas toujours remplis lorsque les magistrats manquent de temps, les outils de mesure manquent de fiabilité : les taux actuellement observés sont très probablement en deçà de la réalité.

Au total, cette loi était non seulement attendue par nos concitoyens et par les magistrats eux-mêmes, mais elle a également fait la preuve de son utilité en quelques mois d’application seulement, notamment pour certaines formes de délinquance – je pense notamment aux atteintes aux personnes, et tout particulièrement aux violences conjugales. La loi du 10 août 2007 est un outil d’une grande efficacité.

…..

M. Michel Hunault. Je veux à mon tour saluer le travail des deux rapporteurs : ce bilan de l’application de la loi, dix-huit mois après son vote, répond utilement aux critiques de l’opposition. Il prouve en effet, madame la garde des Sceaux, que votre politique pénale, conformément à vos vœux, concilie fermeté et humanité.

Pendant que l’opposition commente, la garde des Sceaux et la majorité agissent, comme le prouve, entre autres, l’instauration d’un Contrôleur général des prisons ou le projet de loi pénitentiaire.

En ce qui concerne les possibilités d’aménagement de peine, je souhaiterais qu’on aille un peu plus loin, car on sait qu’il y a dans les prisons des gens qui n’ont rien à y faire. Il faut donc que l’application de la loi de 2007 soit dissuasive pour les récidivistes, mais il importe également qu’il y ait des peines alternatives pour sanctionner les petits délits.

J’ajoute que la généralisation de l’injonction de soins suppose un accroissement des moyens matériels et humains consacrés à la réinsertion des détenus – c’est la meilleure prévention de la récidive.