Lutte contre la récidive

Catégories: Assemblée Nationale, Interventions en réunion de commission, Justice, Prisons, Sécurité

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 3 novembre 2009

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 11

Audition, ouverte à la presse, de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale

La séance est ouverte à dix heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale (n° 1237) (M. Jean-Paul Garraud, rapporteur).

M. Jacques Alain Benisti, vice-président, suppléant le président Jean-Luc Warsmann. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, déposé il y a un an, a pour objet de compléter les dispositions de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, dont certaines dispositions avaient été déclarées contraires à la Constitution ou fait l’objet de réserves par le Conseil constitutionnel. À la suite de cette décision, le Président de la République avait demandé au premier président de la Cour de cassation de lui remettre un rapport sur les conséquences devant être tirées de la décision du Conseil constitutionnel, rapport à la suite duquel a été déposé le présent projet de loi.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Le présent projet de loi a pour objet d’amoindrir le risque de récidive criminelle. Ce projet de loi répond à une attente de l’opinion publique, choquée par certains crimes récents commis par des personnes récidivistes. Loin d’être dicté par l’émotion, ce projet de loi permet de prendre en considération une problématique particulièrement perturbante pour la société, qu’est la récidive de certains crimes d’une particulière gravité.

Je souhaite en préambule saluer la qualité du travail effectué par votre commission, en particulier par son rapporteur, M. Jean-Paul Garraud. La qualité de la loi dépend largement de la coopération entre le Gouvernement et le Parlement. À cet égard, je me félicite du climat de confiance, de franchise et de responsabilité de nos échanges.

Le projet de loi soumis à votre examen vise à amoindrir le risque de récidive en matière criminelle. Tout d’abord il complète la loi du 25 février 2008 et tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008 en s’appuyant sur le rapport de M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation, dont je tiens à saluer la qualité. Ensuite, il renforce la protection de nos concitoyens.

Si l’incarcération est la première des réponses pénales contre les actes criminels graves, elle n’est pas toujours suffisante à la protection de la société. L’actualité l’a récemment rappelé. Qu’une femme ait pu trouver la mort en croisant sur son chemin un violeur récidiviste, à peine sorti de prison, qu’un enfant de cinq ans soit agressé par un violeur déjà condamné et incarcéré, c’est intolérable et insupportable.

Face aux risques que font peser certains récidivistes, les Français attendent de l’État qu’il sache les protéger. C’est notre responsabilité. Il nous appartient de prendre les mesures adaptées, respectueuses des libertés publiques, mais à même de permettre la prévention de la récidive.

La loi du 10 août 2007 a institué des peines planchers à l’égard des multirécidivistes. Elle est mise en œuvre, puisqu’à ce jour, près de 14 000 condamnations en récidive ont donné lieu à une peine au moins égale à la peine plancher.

Pour prévenir la récidive, la fermeté doit aller de pair avec des réponses adaptées. Ainsi, la loi pénitentiaire récemment adoptée a prévu des dispositifs encourageant la réinsertion, qui constitue certainement la meilleure garantie pour la prévention de la récidive. Mais nous devons aussi être réalistes, en reconnaissant que certains criminels présentent un risque grave de récidive. Il faut réduire leur dangerosité, pour autrui mais également pour eux-mêmes. Pour ces personnes, il faut renforcer leur suivi, qui doit être à la fois judiciaire mais aussi médical et psychiatrique. Surtout, ce suivi doit débuter en prison d’abord, mais aussi se poursuivre en dehors de la prison après la libération.

Le projet de loi permet de consolider les mesures de sûreté prévues par la loi du 25 février 2008, tandis que de nouvelles mesures permettront de garantir un meilleur suivi des criminels dangereux en dehors de la prison.

En premier lieu, le projet de loi garantit l’effectivité des mesures de sûreté. Sur la base du rapport Lamanda, deux objectifs sont visés : d’une part, clarifier les conditions de placement en rétention de sûreté, et, d’autre part, renforcer l’efficacité des mesures de surveillance de sûreté.

S’agissant de la clarification des conditions de placement en rétention de sûreté, le projet de loi prévoit, conformément à la décision du Conseil constitutionnel, qu’un placement en rétention de sûreté impliquera que l’intéressé ait, pendant sa détention, bénéficié d’une prise en charge médicale, sociale ou psychologique adaptée. Ensuite, la mesure de rétention de sûreté ne pourra intervenir que lorsque le renforcement des mesures de surveillance apparaît insuffisant pour prévenir la récidive. Enfin, l’aide juridique sera bien sûr garantie aux personnes placées en rétention de sûreté, qui pourront ainsi bénéficier de l’assistance d’un avocat pour les mesures pouvant être prises pendant le cours de la rétention.

S’agissant du renforcement de l’efficacité des mesures de surveillance de sûreté, les possibilités de placement sous surveillance de sûreté seront étendues. Ainsi, la mesure pourra intervenir soit à l’issue d’une surveillance judiciaire ayant accompagné une libération anticipée, soit directement à la sortie de prison. Ensuite, si une personne est condamnée à une peine de prison pendant l’exécution des mesures de surveillance ou de rétention, ces dernières ne seront que suspendues et pourront donc reprendre à l’issue de l’exécution de la peine. Enfin, des personnes remises en liberté dans l’attente d’une procédure de révision pourront faire l’objet de mesures de contrôle.

Cependant, la protection des citoyens contre les criminels dangereux ne peut être limitée au temps de l’incarcération. La loi sur la rétention de sûreté nous a permis de mieux prévenir la récidive des infractions sexuelles ou violentes les plus graves, mais il est nécessaire d’aller plus loin. En effet, le Gouvernement souhaite que le présent projet de loi soit complété sur trois points : en renforçant le suivi médico-judiciaire des délinquants et criminels sexuels, en assurant le contrôle et la surveillance effectifs des criminels après leur libération et en garantissant une meilleure protection des victimes.

S’agissant du renforcement du suivi médico-judiciaire des délinquants et criminels sexuels, nous savons que certains délinquants tentent de contourner leur obligation, soit en ne s’y soumettant pas, soit par la prise de médicaments interférant avec le traitement. Pour donner aux juges les moyens de vérifier la réalité de la prise et du suivi du traitement, un médecin traitant chargé de prescrire et de suivre l’administration du traitement, rendra compte au médecin coordonnateur. Lui-même aura l’obligation d’informer les juges de toute interruption de traitement. Le juge comme le médecin sont astreints au secret professionnel, et le demeureront, puisqu’il n’est pas question de revenir sur ce point. Le médecin aura simplement l’obligation d’informer le juge sur l’exécution de la mesure, et non sur le protocole médical suivi. La circulation de l’information renforcera ainsi la protection de tous.

S’agissant du contrôle et de la surveillance des criminels après leur libération, il apparaît que l’un des problèmes centraux est celui de la circulation de l’information. Il sera donc proposé de renforcer l’information des services enquêteurs. Pour savoir où se trouvent les sortants de prison sur le territoire, l’identité et l’adresse des condamnés libérés seront systématiquement communiquées aux services de police et de gendarmerie. Cette mesure simple et de bon sens permettra aux forces de sécurité d’assurer une surveillance ciblée, gage de prévention et de protection. En outre, pour renforcer l’efficacité du travail des policiers et gendarmes, il faut moderniser le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles. Une interconnexion avec le fichier des personnes recherchées doit être envisagée.

L’information des magistrats doit également être renforcée. Il n’est pas tolérable qu’un juge doive prendre une décision sans disposer de tous les éléments, alors même que ces éléments existent mais sont dispersés. Une connaissance du parcours individuel du condamné permettra au juge de mieux évaluer son profil et sa dangerosité. Pour prendre un exemple, un cas de cannibalisme a été déploré au centre pénitentiaire de Rouen. Or le juge n’était pas informé de l’état mental du détenu, ce qui n’est pas acceptable.

Je souhaite donc que pour chaque détenu le justifiant soit créé un dossier unique de personnalité comprenant l’ensemble des expertises psychiatriques, psychologiques et autres enquêtes sociales réalisées dans le cadre d’une procédure pénale ou lors de l’exécution d’une mesure de sûreté.

De même, les mesures de sûreté et les décisions de surveillance judiciaire doivent être inscrites au casier judiciaire. L’autorité judiciaire doit avoir connaissance de ces éléments lorsqu’elle poursuit ou juge une personne qui a fait l’objet d’une telle mesure.

Enfin, nous avons l’obligation de garantir aux victimes la tranquillité, en faisant en sorte que les interdictions de se trouver en contact soient plus systématiquement prononcées et mieux respectées. Qu’un criminel puisse, en sortant de prison, s’installer près des lieux où habite ou travaille la victime des faits qu’il a commis est inacceptable. Actuellement, dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’un aménagement de peine, la juridiction de jugement ou d’application des peines peut interdire à un condamné d’entrer en relation avec la victime ou de paraître en tout lieu. Je souhaite que soit créée une nouvelle interdiction, afin de faciliter l’éloignement des condamnés de leurs victimes : l’interdiction de paraître dans un périmètre précisé par la juridiction autour du lieu où travaille ou réside la victime ou sa famille. En outre, toute personne condamnée pour un crime sexuel et bénéficiant d’un aménagement de peine devra être obligatoirement soumise à cette interdiction par le juge de l’application des peines, sauf décision contraire motivée.

Enfin, aujourd’hui, quand les services de police ou de gendarmerie constatent la violation d’une interdiction de s’approcher de la victime, ils n’ont aucun moyen légal pour intervenir. Je souhaite donc qu’il leur soit permis d’interpeller l’intéressé, de le retenir pendant 24 heures, et, si le juge de l’application des peines l’estime nécessaire, de le déférer devant celui-ci éventuellement aux fins d’incarcération.

Protéger les Français, ce n’est pas se contenter de sanctionner le criminel une fois le crime commis. Combien faudrait-il alors de viols, de meurtres et d’agressions violentes pour assurer la sécurité de nos concitoyens ? La protection des Français doit être préventive et proactive. Elle doit reposer sur l’évaluation lucide et efficace des risques de récidive.

En adaptant le suivi médico-judiciaire, en mutualisant les informations et en assurant la tranquillité des victimes, nous franchirons une étape supplémentaire dans la prévention de la récidive. Cela ne réglera pas forcément tout : ce ne serait ni lucide ni honnête de le penser. Cependant, notre devoir est de doter notre pays des instruments les plus adaptés pour lutter contre la récidive. Première des libertés, la sécurité est la condition de toutes les autres. La garantir à nos concitoyens relève de notre responsabilité partagée.

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M. Michel Hunault. Je tiens à remercier Mme le ministre d’avoir dressé un tableau sans complaisance de la situation de la récidive en matière de délinquance sexuelle, alors que notre pays a connu tout récemment des événements dramatiques. Même s’il ne faut pas légiférer sous le coup de l’émotion, notre rôle est de remédier aux situations les plus inadmissibles en la matière. L’opinion publique est aujourd’hui excédée de constater que des crimes sont commis par des récidivistes, qui ont bénéficié de libérations anticipées alors qu’ils étaient particulièrement dangereux. Le débat à ce sujet aura lieu en séance publique et devra être assumé devant la population, comme cela a été le cas pour la loi pénitentiaire, dont je rappelle que nos collègues de l’opposition ont choisi de la contester devant le Conseil constitutionnel.

À titre personnel, je me bats pour que l’on mette fin au système des remises de peine actuellement appliqué pour les crimes les plus graves. J’avais d’ailleurs demandé, dans le cadre de nos récents débats sur la loi pénitentiaire, qu’il soit procédé à un scrutin public sur les amendements que j’avais déposés pour remettre en cause l’automaticité des remises de peine pour les personnes condamnées, en situation de récidive, après avoir commis un acte particulièrement grave. Le législateur doit certes agir sereinement, mais cessons de permettre la libération, sans suivi socio-judiciaire, des pires criminels récidivistes.

Nous débattrons prochainement du budget de la justice : profitons de cette occasion pour rappeler qu’il est essentiel d’assurer le suivi socio-judiciaire, afin de permettre la réinsertion des criminels les plus dangereux. Les moyens disponibles dans notre pays demeurent très insuffisants pour garantir ce suivi, et les objectifs fixés par le Parlement depuis plusieurs années sont donc loin d’être respectés.

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Mme le ministre d’État. Je tiens à remercier chacune et chacun des orateurs dont les interventions témoignent d’un climat de dialogue, de clarté, de confiance et de sérieux. Cela est conforme à ce qu’exige tout débat sur un tel sujet.

Comme nous allons nous retrouver demain à l’occasion de l’examen du texte par votre commission des Lois, je n’insisterai pas à ce stade sur certains éléments de réponse de nature très technique. Toutefois, je m’efforcerai de répondre aux interrogations ou aux observations formulées par tous.

Votre rapporteur, avec lequel nous avons travaillé de concert dans la perspective de l’examen de ce projet de loi, a brillamment exposé les objectifs que nous poursuivons et l’esprit de ce texte, qui consistent à rechercher plus d’efficacité tout en préservant le nécessaire équilibre entre besoin de sécurité et protection des libertés publiques. Je ne nie pas que certains aspects méritent encore de faire l’objet de quelques approfondissements, notamment en ce qui concerne les seuils de mise en œuvre des différentes mesures de suivi pour lesquels un problème de constitutionnalité n’est pas à exclure, mais j’ai bon espoir que nous parvenions à une solution d’ici l’examen des articles du projet de loi par votre commission.

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J’indiquerai à M. Michel Hunault que l’essentiel des efforts en direction des médecins coordonnateurs relève du ministère de la santé. Toutefois, nous avons engagé un travail conjoint en la matière, qui se concrétise par une réunion régulière de mes collaborateurs avec ceux de mon homologue.