Loi Pénitentiaire

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Assemblée nationale


XIIIe législature


Deuxième session extraordinaire de 2008-2009



Compte rendu
 intégral

Première séance du mardi 15 septembre 2009

Loi pénitentiaire

Discussion générale

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, enfin nous examinons le projet de la loi pénitentiaire dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale ! La situation des prisons françaises a été qualifiée de « honte » par le Président de la République lui-même, lors de son discours devant le Parlement réuni en congrès, à Versailles, au mois de juin dernier. On ne compte plus les rapports parlementaires, tant de l’Assemblée que du Sénat, ni les commissions d’enquête qui ont donné lieu à une prise de conscience et à des propositions concrètes pour remédier aux maux de la prison. On ne peut donc qu’apprécier que nous soyons enfin à même de discuter d’une loi pénitentiaire évoquée et appelée de leurs vœux par tous les députés depuis plus de dix ans.

L’examen de ce texte est à porter au crédit de la majorité gouvernementale et présidentielle, et s’inscrit d’ailleurs dans une longue série de décisions : le plan, d’une ampleur sans précédent, de construction de prisons, qui permettra, en 2012, à notre pays d’être doté de plus de 60 000 places – ce programme immobilier ayant été accéléré grâce au partenariat public-privé –, la création d’un poste de Contrôleur général des prisons – j’associe à cette décision, madame la garde des sceaux, votre prédécesseure, Mme Rachida Dati –, ainsi que l’allocation de crédits pour améliorer les moyens de l’administration pénitentiaire. Au nom des députés de Nouveau Centre, je vous apporte d’ores et déjà notre soutien, à vous et au Gouvernement, pour l’adoption de cette loi pénitentiaire.

Cela étant, faisons en sorte que cette loi ne soit pas un rendez-vous manqué.

À cet égard, j’aurais souhaité que l’examen de cette loi soit replacé dans son contexte européen. Il est vrai que le rapporteur vient de l’évoquer à la tribune. On ne peut en effet ignorer le rôle des institutions européennes, en particulier celui du Conseil de l’Europe, dont on célébrera, à la fin du mois de septembre, le soixantième anniversaire. Présenté comme la conscience de l’Europe, comme le dernier rempart contre l’arbitraire, le Conseil de l’Europe a largement inspiré, et contribué à élaborer, un cadre normatif exigeant. De même, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et les instruments d’évaluation et de contrôle – je pense au comité de prévention de la torture – ont largement dénoncé la situation inadmissible des prisons, que ce soit en France ou dans d’autres pays d’Europe. J’aurais apprécié également que l’on soutienne les projets de recommandations sur la situation des prisons et le projet de charte pénitentiaire. Mais tout ce travail n’a pas été vain puisque les règles pénitentiaires ont été actualisées récemment.

Ce qui importe, madame la garde des sceaux, c’est de disposer d’un instrument normatif rappelant les droits et les obligations de chacun : ceux de l’État et de l’administration pénitentiaire, mais aussi ceux des détenus et du personnel pénitentiaire. Telle est bien la vocation du projet de loi pénitentiaire dont nous entamons la discussion cet après-midi. Je tiens à rendre hommage à mon tour, comme vous l’avez fait solennellement à cette tribune, au travail et à l’abnégation du personnel pénitentiaire, dont la mission est extrêmement difficile. L’amélioration des conditions de détention améliorera également les conditions de travail du personnel. Je veux aussi rendre hommage aux visiteurs de prisons, aux aumôniers et à toutes ces personnes qui, par leur visite et leur écoute, soutiennent les détenus.

Rappelons d’abord, avant d’entrer dans le détail du texte, une obligation : la nécessaire sanction de tous ceux qui, par leurs actes, ont commis des délits et des crimes. Nous ne pouvons faire l’impasse sur les victimes, ignorer ces personnes envers qui la société, vous l’avez rappelé, a des devoirs. La société doit aussi se protéger et sanctionner, il ne faut jamais l’oublier.

Mais la seule sanction doit être la privation de liberté, et non pas l’atteinte à la dignité de la personne détenue. C’est le fondement même de cette loi pénitentiaire. Nous avons réussi à élaborer un texte qui fait la synthèse entre l’exigence d’humanité et l’exigence de fermeté, qui n’est pas moindre. Oui, fermeté envers la délinquance, car rappelons les chiffres : plus de quatre millions de crimes et de délits sont commis chaque année, la capacité de jugement ne dépasse guère les 600 000 affaires, les peines d’emprisonnement prononcées sont de 100 000, et près de 40 000 peines de prison ne sont jamais exécutées ! Dans ce contexte, nous devons non seulement prendre en compte la dangerosité des détenus, mais aussi améliorer l’effectivité des peines – je sais que ce combat vous est cher, madame la garde des sceaux. C’est une question à la fois de bon sens, de crédibilité et de confiance dans les institutions de la République. Il nous faut développer les mesures alternatives à l’emprisonnement pour les auteurs de délits qui méritent certes une sanction, mais une sanction susceptible de se concrétiser en dehors de la prison. Je veux, à ce stade, saluer les travaux de la commission des lois, car nous y avons travaillé, ces dernières années, pour faciliter le recours aux peines alternatives, en particulier le placement sous bracelet électronique. À cet égard, on ne peut que regretter que les travaux d’intérêt général ne soient pas assez développés.

Par ailleurs, le projet de loi ne précise pas les moyens humains prévus pour faciliter l’accès aux soins des détenus qui relèvent plus de la psychiatrie que de la prison. Vous avez évoqué leur cas, madame la garde des sceaux, mais énumérer des règles et des principes est une chose, veiller à expérimenter et à donner les moyens financiers et humains pour appliquer ces principes en est une autre, et c’est un objectif auquel nous devons nous atteler. Il en va de la crédibilité du dispositif.

Il nous faut généraliser la formation et le travail en prison, car nous savons que cela constitue un facteur d’intégration et un moyen de lutter contre la récidive. Or qu’en est-il de la réalité des prisons ? Des cellules surpeuplées, avec 62 000 détenus pour 48 000 places, des télés qui diffusent en boucle toute la journée, une surpopulation et une promiscuité, source de violence. Le Sénat l’a prévu, et il faut aller dans ce sens : donnons aux régions, qui ont la compétence en matière de formation, les moyens d’expérimenter des actions de formation à destination des détenus. Vous avez abordé avec franchise, madame la garde des sceaux, la question de l’encellulement individuel, en disant que si ce doit être un objectif, encore faut-il laisser le choix au détenu. Je vais dans votre sens, mais à la condition que ce ne soit pas le moyen de retarder encore la résolution du problème de la surpopulation, voire de justifier encore plus longtemps l’arrivée de nouveaux détenus dans des cellules déjà surpeuplées.

J’ai visité des prisons à travers le monde entier. J’en ai retiré une expérience qui m’a marqué à jamais. L’atteinte à la dignité des prisonniers doit être combattue, et la France, pays des droits de l’homme, n’a hélas aucune leçon à donner aux autres pays du monde.

À l’occasion de la discussion de cette loi pénitentiaire, il faut nous inspirer des meilleures pratiques à l’étranger, tel le numerus clausus en Pologne, qui interdit l’emprisonnement s’il n’y a pas de place sauf, naturellement, pour les auteurs de crimes ou de flagrants délits ; j’aurais aimé que nous donnions plus de moyens au Contrôleur général des lieux de privation de liberté et au Médiateur de la République pour résoudre les conflits entre les prisonniers et l’administration pénitentiaire, à l’image de ceux dont dispose le médiateur en République Tchèque.

En outre, j’aurais souhaité – mais mes amendements ont été déclarés irrecevables – que l’on généralise les caméras dans tous les lieux publics de la prison, pour une question de sécurité mais aussi d’apaisement : dans les couloirs, la cour, les ateliers, le gymnase. J’ai vu des prisons apaisées du fait que les prisonniers quittent leur cellule le matin pour se rendre dans des ateliers de formation, et ne les regagnent qu’en fin de journée.

Il nous faut absolument, au-delà du vote des principes généraux contenus dans cette loi, mettre en place des mécanismes de contrôle plus efficace, et surtout, à l’avenir, consacrer les moyens financiers nécessaires pour faire respecter l’application desdits principes, motifs de notre soutien.

J’aurais également voulu, madame la garde des sceaux, que la France soit à l’initiative de la création d’un observatoire européen de tous les lieux de privation de liberté, pour aider et mettre en réseau tous ceux et toutes celles qui visitent les prisons, et pour s’inspirer des meilleures pratiques.

J’aurais souhaité que nous évoquions aussi l’accès et les visites des familles des prisonniers, qui généralement n’ont le droit qu’à quelques instants dans des parloirs dépourvus de toute intimité. À cet égard, certaines dispositions du projet de loi vont dans le bon sens.

Enfin, je voudrais évoquer les remises de peine. Devant vous comme devant vos prédécesseurs, je répète que je considère que la peine d’emprisonnement doit être réellement effectuée, que les remises de peine doivent tenir compte de la nature et de la dangerosité des détenus, être strictement encadrées et exclure les récidivistes en matière criminelle ainsi que les auteurs de délits sexuels – vous l’avez confirmé, madame la garde des sceaux, et je m’en réjouis. Je vous ai alertée car il n’est pas concevable qu’aux yeux de l’opinion publique cette loi pénitentiaire se réduise à la possibilité d’effectuer chez soi des peines de deux ans d’emprisonnement !

C’est pourquoi mon groupe sera très attentif à l’encadrement très strict des aménagements de peine, à l’exclusion de ce dispositif des récidivistes et des auteurs des crimes et délits sexuels, ainsi que vous l’avez rappelé tout à l’heure du haut de cette tribune. L’un de mes amendements prévoit de ramener de deux ans à un an la durée d’un possible aménagement de peine. Je suis ouvert à la discussion, à condition que la majorité appuie le Gouvernement pour que nous encadrions très strictement cette faculté.

Il nous faut également rappeler le scandale de la détention provisoire. Alors que des réformes récentes l’ont strictement encadrée pour la rendre très exceptionnelle, elle est trop communément prononcée, souvent à la suite d’aveux en gardes à vue – lesquelles ne sont elles-mêmes pas assez strictement encadrées.

Pour terminer, je voudrais remercier ceux et celles, notamment dans la presse écrite, qui n’ont cessé de dénoncer l’inacceptable.

Je me tourne vers les bancs de l’opposition pour remercier tous mes collègues qui ont eu le courage de s’attaquer à la situation dans les prisons. Élus du suffrage universel, nous savons bien que la cause des prisons n’est pas très populaire. En démocratie, l’attente légitime de nos électeurs nous fournit bien d’autres sujets de préoccupation : le logement, le transport, la solidarité. Il est néanmoins de notre devoir de veiller à l’humanisation des prisons, au respect de la dignité et de l’humanité de ceux et celles qui, par leur crime, ont perdu les leurs en un instant.

Étant originaire de l’ouest du pays, je voudrais aussi rendre hommage au président d’Ouest-France qui n’a cessé de dénoncer l’indignité des prisons françaises dans ses éditoriaux et ses combats. Madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, tous ces hommes et ces femmes ont aussi leur part au rendez-vous qui nous réunit cet après-midi dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale.

Tout à l’heure, mon collègue Dominique Raimbourg a parlé de son expérience et cité des prisonniers. Je ne vous citerai pas les témoignages que j’ai pu recueillir lors de visites de lieux de privation de liberté. Je les garderai pour moi. Mais, au moment de conclure, je me souviens de l’appel des victimes, notamment de parents qui ont perdu un enfant. Il faut dire que nous pouvons légiférer pour améliorer la situation dans les prisons, sans pour autant perdre les exigences de fermeté, de sanction, de protection de la société.

Sur l’essentiel, il n’y a ni gauche ni droite qui vaillent, seulement l’exigence suprême de veiller à légiférer pour l’homme. C’est pourquoi je vous apporte mon soutien. Lors de cette discussion, j’apporterai ma contribution à l’amélioration de ce texte. Je vous remercie de votre attention.