Liberté de religion et autres droits de l’homme des minorités non musulmanes en Turquie et de la minorité musulmane en Thrace

Catégories: Conseil de l'Europe, Droits de l'Homme, Europe, International, Interventions au Conseil de l'Europe

SESSION DE 2010

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Première partie

COMPTE RENDU

sixième séance

27/01/2010 à 15:00:00

Liberté de religion et autres droits de l’homme des minorités non musulmanes en Turquie et de la minorité musulmane en Thrace
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LE PRÉSIDENT (Interprétation). – L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion du rapport de M. Hunault, au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, sur « La liberté de religion et autres droits de l’homme des minorités non musulmanes en Turquie et de la minorité musulmane en Thrace (Grèce orientale) » (Doc. 11860).

Vingt-deux orateurs sont inscrits dans ce débat et quatorze amendements ont été déposés.

Monsieur le rapporteur, vous disposez d’un temps de parole total de treize minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.

M. HUNAULT (France), rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme. – Monsieur le Président, permettez-moi, avant d’en venir à la présentation de mon rapport, de vous renouveler mes félicitations pour votre élection à la présidence de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Le 17 mars 2006, notre Assemblée décidait de renvoyer à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, pour rapport, les propositions de résolution relatives à la liberté de religion et autres droits de l’homme des minorités non musulmanes en Turquie, et à la situation difficile de la minorité musulmane turque en Thrace.

D’emblée, je souhaite souligner combien j’ai pu compter sur l’aide précieuse de mes collègues des délégations parlementaires grecque et turque, lors de mes visites sur place ; je tiens à leur exprimer toute ma gratitude.

La question de la liberté de religion et autres droits de l’homme des minorités non musulmanes en Turquie et de la minorité musulmane turque en Thrace a été traitée par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme sous l’angle juridique découlant du traité de Lausanne.

Ce rapport est discuté dans un contexte général marqué par des tensions à travers toute l’Europe. Le Conseil de l’Europe a pour ambition d’agir pour le respect des idéaux démocratiques et des droits de l’homme. La question des religions et des minorités est devenue essentielle en ce début du XXIe siècle.

Le Conseil de l’Europe a vocation à promouvoir la connaissance, la compréhension des religions, afin de contribuer à une coexistence pacifique, notamment des trois religions monothéistes.

Les conflits armés, les attentats terroristes ont bien souvent dénaturé l’essence même de l’islam, entraînant la recrudescence des actes islamophobes. La lutte contre l’antisémitisme est plus que jamais d’actualité et les chrétiens, dans certaines régions des Etats membres du Conseil de l’Europe, sont parfois en danger.

Dans ce contexte, je souhaite que le rapport que j’ai l’honneur de présenter contribue à une meilleure compréhension de la situation des minorités religieuses dans ces deux grands pays que sont la Grèce et la Turquie. C’est dans le même esprit et animé de ces intentions que je me suis penché sur la situation des minorités religieuses en Grèce et en Turquie.

Dans ces pays de longue tradition religieuse et culturelle, présentés bien souvent, et à juste titre d’ailleurs, comme le berceau de la civilisation au bord de la Méditerranée, où l’on observe la coexistence des églises et des mosquées, trois religions monothéistes ont vocation à coexister dans un esprit de tolérance et de compréhension mutuelles qui, en ce début de siècle, est parfois mis à mal. C’est dans cette perspective que s’inscrit ce rapport : réaffirmer la primauté de la laïcité tout en prenant en compte la réalité des religions, dont la libre adhésion et la pratique ne doivent pas être entravées.

Il est impossible de traiter cette question sans se référer au contexte historique et au traité de Lausanne, signé le 24 juillet 1923, lequel accorde un certain nombre de droits aux minorités non musulmanes en Turquie. La Grèce accorde les mêmes droits à sa minorité musulmane. Le traité de Lausanne a vocation à garantir l’égalité de traitement entre les membres des minorités et les membres de la majorité. Plus précisément, l’article 45 accorde à la minorité musulmane se trouvant sur le territoire de la Grèce les mêmes droits qu’aux minorités non musulmanes en Turquie. C’est l’article essentiel dans les relations entre la Grèce et la Turquie en matière de protection des minorités.

Mais dans la réalité, la notion de réciprocité s’est faite souvent en termes négatifs.

Que dit le rapport ? Que la Grèce et la Turquie devraient traiter tous leurs citoyens sans discrimination, sans prendre en compte la façon dont l’Etat voisin pourrait traiter ses propres citoyens.

Votre rapporteur et la commission juridique se sont félicités qu’une prise de conscience de la part des autorités des deux pays contribue à apporter des réponses appropriées aux difficultés auxquelles doivent faire face les membres de ces minorités et les encourage à poursuivre leurs efforts en ce sens. Le rapport vise à ce que la Grèce et la Turquie prennent des mesures en faveur des membres de minorités religieuses en matière d’éducation et de droit à la propriété afin que les membres de ces minorités ne soient pas perçus comme des étrangers dans leur propre pays.

En ce début du XXIe siècle, le Conseil de l’Europe a vocation à promouvoir la tolérance mutuelle afin de contribuer à la coexistence pacifique des religions.

Le Conseil de l’Europe a déjà souligné que les croyances et les traditions religieuses sont une dimension à part entière de la culture et a reconnu que la connaissance des religions joue un rôle important dans le développement de la compréhension et du respect mutuels.

Le dialogue interculturel, y compris dans sa dimension interreligieuse, est aussi un moyen pour que la diversité des cultures européennes devienne une source d’enrichissement mutuel.

Le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sont les pierres angulaires de la diversité culturelle et religieuse.

La question des minorités religieuses en Grèce et en Turquie, en raison du poids de l’histoire, est empreinte d’une charge émotionnelle très grande. C’est un sujet très sensible que nous évoquons cet après-midi dans cet hémicycle.

L’un des objectifs premiers du rapport est que l’article 45 du traité de Lausanne évoquant la réciprocité ne soit plus interprété en termes négatifs. En outre, le recours récurrent des deux Etats au principe de réciprocité pour refuser la mise en œuvre des droits garantis à leurs minorités concernées par le Traité de Lausanne est anachronique et nuit à la cohésion nationale de chacun des pays.

Le rapport que j’ai l’honneur de présenter au nom de la commission des questions juridiques invite la Grèce et la Turquie à traiter tous leurs citoyens sans discrimination, sans prendre en compte la façon dont l’Etat voisin pourrait traiter ses propres citoyens.

La Grèce et la Turquie ont témoigné récemment d’une plus grande compréhension des spécificités inhérentes aux minorités qui font l’objet de cette résolution. On ne peut que se féliciter d’une certaine prise de conscience des autorités des deux pays qui ont apporté des témoignages de leurs engagements afin de trouver des réponses appropriées aux difficultés auxquelles doivent encore faire face les membres de ces minorités.

Des dispositions ont été prises de part et d’autre de la frontière en vue d’améliorer la situation des minorités. Je voudrais aussi évoquer la visite de l’ancien Premier ministre grec en Turquie en janvier 2008, sa rencontre avec son homologue turc, expression d’une volonté constructive et de respect mutuel.

Cependant, des questions restent en suspens et nécessitent que les deux Etas poursuivent leurs efforts qui ne sauraient aboutir sans dialogue ouvert et constructif avec les membres des minorités concernées.

Les mesures préconisées dans ce rapport visent à encourager les autorités des deux pays à tout mettre en œuvre afin de modifier la perception vis-à-vis des membres de ces minorités qui sont parfois perçus comme des étrangers dans leur propre pays. Or il est d’une importance capitale que les membres tant de la majorité que des minorités comprennent et ressentent que ces derniers sont des citoyens à part entière.

Le rapport que j’ai l’honneur de vous soumettre invite la Grèce et la Turquie à prendre certaines initiatives. Elles sont précisées dans mon rapport. Le temps qui m’est imparti ne me permet pas de les développer. Ces mesures concernent l’enseignement, le développement économique, la désignation des autorités religieuses, mais elles tendent surtout à soutenir durablement, y compris financièrement, les initiatives visant à une meilleure compréhension entre les membres des minorités, à une meilleure organisation des campagnes contre l’intolérance et le racisme. Elles insistent sur le fait que la diversité doit être perçue, non comme une menace, mais comme une source d’enrichissement.

Mon rapport s’arrête également sur des points spécifiques. Je pense au devenir de l’un des plus anciens monastères chrétiens du monde, le monastère syriaque orthodoxe du Mor Gabriel, du séminaire de Halki. Je ne peux, dans cet hémicycle à l’occasion de ce rapport, ne pas saluer la mémoire de Hrart Dink, assassiné il y a quelques années, ne pas évoquer le problème de la liberté de choix des muftis et bien d’autres problèmes qui sont traités en détail dans le rapport.

Mais, au-delà de ces difficultés, j’évoquerai pour terminer les raisons d’espérer car j’ai pu constater, lors de mes déplacements, que pouvaient parfois cohabiter dans une même ville église et mosquée. J’ai rencontré des jeunes qui étaient éduqués dans un esprit de tolérance, de connaissance et de compréhension mutuelle et qui refusaient de se laisser enfermer dans une quelconque appartenance religieuse. Ces jeunes – ils me l’ont dit – souhaitaient que « l’autre » soit reconnu pour ce qu’il est et non en fonction de son appartenance à une religion.

Je n’ignore pas les tensions, la situation qui existe et dont l’examen du rapport dans cet hémicycle doit tenir compte. Il y a un mois, des mots très durs ont été employés par le Patriarche en Turquie. Je ne peux pas ignorer non plus la montée des incompréhensions contre l’islam, ni l’exigence de promouvoir la laïcité dans l’organisation des pouvoirs publics et de l’administration d’Etat.

Mais le Conseil de l’Europe qui a célébré ses soixante ans doit pouvoir être l’un des lieux de dialogue fructueux et contribuer à une compréhension mutuelle, facteur de paix. C’est, monsieur le Président, l’une des ambitions de ce rapport.

(…)

LE PRÉSIDENT (Interprétation). – Nous devons à présent interrompre la liste des orateurs. Les orateurs inscrits qui, présents dans le débat, n’ont pu s’exprimer, peuvent déposer leur intervention au service de la séance pour publication au compte rendu.

J’appelle la réplique de la commission.

Monsieur le rapporteur, il vous reste une minute.

M. HUNAULT (France), rapporteur. – Je voudrais tout d’abord remercier pour leur soutien les orateurs qui sont intervenus dans le débat.

Mme Keleş a soulevé deux points très précis concernant les fondations et le statut juridique des terres en Thrace. Ce rapport a pour ambition d’être un travail équilibré, élaboré en coopération avec les différentes parties en Turquie et en Grèce. Notre objectif est d’améliorer la situation des minorités religieuses, à partir d’un constat sans concession mais avec la volonté d’apporter un progrès véritable aux populations. Appartenir à une minorité ne donne certes pas des droits supplémentaires, mais implique des droits égaux à ceux de la majorité. Le traité de Lausanne reste la référence principale en matière de droit.

Je vous demande, mes chers collègues, lors du vote des amendements, de veiller à préserver l’unité de ce texte et sa volonté de réconciliation. Rien ne serait pire que de créer des divisions supplémentaires. (Applaudissements).