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L’adoption du projet de loi créant la « Mesure de sûreté » ou « l’exigence d’agir »
Dans un réquisitoire où l’avocat s’est effacé derrière le Procureur, ne laissant place à aucune nuance, l’ancien Garde des Sceaux, Robert Badinter, a mis en cause le projet de loi créant « la rétention de sûreté », projet adopté par l’assemblée nationale, dans la nuit de mercredi à jeudi, après une vive discussion. De quoi s’agit-il ? Sans aucun doute d’un texte de protection : protection de la société, des victimes face au danger que représentent des criminels, susceptibles en raison de leur dangerosité, de récidive généralement en matière de crimes de nature sexuelle. Qu’elle est longue la liste de ces malheureuses victimes laissant parents et familles dans le deuil et l’incompréhension face aux lacunes de la loi. Disons le clairement, si tout prisonnier condamné, même auteur de crimes les plus violents, a vocation à sortir de prison, ce que personne ne veut remettre en cause, cela n’exonère pas le législateur, pour autant, de prendre en compte sa dangerosité. L’assemblée nationale a débattu avec sérénité et émotion, plusieurs parents d’enfants assasinés étaient présents dans les tribunes du public. Qui peut nier que la dangerosité des criminels doit être prise en compte, à la fois pendant la période d’incarcération, et avant la sortie de prison. Certes, au fil des ans, les réformes se sont succédées pour contraindre les magistrats à assortir le prononcé des peines, d’injonctions de soins, dans le cadre du suivi socio-judicaire, et à assortir la libération d’une surveillance électronique. Mais le constat est là, l’opinion manifeste son incompréhension légitime lorsqu’un assassin jugé irresponsable est placé seulement en hôpital ordinaire, comme ce fut le cas le mois dernier, ou lorsque la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ne prend nullement en compte la dimension et la douleur des familles des victimes. Le projet de loi du Garde des Sceaux, Rachida Dati, contrairement au réquisitoire de Robert Badinter, ne peut s’apparenter à une double peine ; il répond, au contraire, aux exigences de la convention européenne des droits de l’homme, car au moment du prononcé du jugement, il sera stipulé au futur condamné qu’il pourra faire l’objet d’une « rétention de sûreté » à l’issue de sa peine, à la double condition que le détenu « présente une particulière dangerosité caractérisée par le risque particulièrement élevé de commettre à nouveau l’infraction ». C’est pour le moins ce que l’on peut exiger de magistrats qui, avant de faire bénéficier un condamné dangereux d’une remise de peine ou d’une libération conditionnelle, tiennent compte de sa dangerosité. Le projet de loi adopté s’attaque avec courage à un principe qui n’a engendré que trop de drames : l’automaticité des remises de peines, jusqu’à présent applicables à tous les détenus, qu’ils soient auteurs de petits délits ou de crimes odieux. L’évaluation de cette dangerosité est particulièrement encadrée, puisque examinée par une commission dont la composition garantie la compétence et l’objectivité ; ainsi, un détenu qui refusera de se plier aux obligations de soin ne pourra bénéficier de remise de peine. La décision de rétention sera prise par une instance collégiale qui devra naturellement la motiver et elle-même sera susceptible de recours. La France ne fait que reprendre les expériences réussies d’autres pays européens. Au delà des critiques formulées contre ce projet de loi, c’est l’action même du Garde des Sceaux Rachida Dati qui est constamment et violemment attaquée. Pourtant, rarement un Ministre de la Justice n’a agit avec autant de détermination, en faisant adopter dans un laps de temps réduit par le Parlement des projets ambitieux : la création du contrôleur général des prisons mettant la France à la pointe des recommandations européennes, puisque cette instance indépendante aura vocation à agir dans tous les lieux privatifs de liberté ! Le Garde des Sceaux a lancé le grand chantier de la loi pénitentiaire qui aura pour principale vocation justement à s’interroger sur la finalité même de la prison, la prise en charge des criminels et délinquants sexuels qui encombrent les prisons, leurs traitements et obligations de soins qui font si cruellement défaut aujourd’hui, et dont les manquements sont cause de récidive. Le projet de loi créant la « mesure de sûreté » prévoit la création de centres spécialisés et adaptés pour guérir les détenus les plus dangereux, en particulier les criminels sexuels récidivistes. Après le scandale « d’Outreau » encore dans toutes les mémoires, la réforme de la carte judiciaire répond à cette exigence première de créer au sein d’un Tribunal de Grande Instance départemental un « Pôle de l’Instruction », condition nécessaire pour pallier à la solitude des juges d’instruction, pour une recherche apaisée de la vérité, et éviter les confusions avec le juge des libertés garant et dernier rempart contre la détention provisoire abusive, cause première de la surpopulation carcérale. Avec l’adoption de ce projet de loi visant à instaurer la rétention de sûreté et relatif à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le Garde des Sceaux s’attaque avec courage au défi auquel toute société est confrontée : protéger la société, prévenir la récidive et sanctionner, tout en gardant allumée cette lueur qui sommeille dans chaque être humain quels que soient son passé et ses agissements. Ce projet de loi est d’une exigence terrible car, au-delà d’une prise de conscience, d’une volonté légitime de protection, il oblige les pouvoirs publics à donner demain, enfin, à la psychiatrie, aux soins, au suivi socio-judiciaire, les moyens humains, financiers et en structures, sans lesquels l’allongement de l’enfermement sans traitement n’aurait aucun sens. C’est aussi là la dimension d’un projet de loi qui a mis les rares députés présents dans l’hémicycle, face à leurs responsabilités et qui donne peut-être plus qu’à l’ordinaire toute sa dimension à la fonction et au rôle du législateur. A Robert Badinter, dont les combats et la vie incitent au respect, je répondrai qu’il ne faut pas opposer ce projet de loi aux exigences qui dépassent tous les clivages et qui se résument dans le devoir d’humanité. Rapporteur pour le Conseil de l’Europe de la Charte Pénitentiaire, j’ai pu mesurer, à travers la visite de tant de lieux si éloignés et cachés, la misère des prisons, les atteintes à la dignité, les enfermements abusifs, l’absence de perspectives, les conséquences de l’éloignement et de l’allongement des peines, la multiplication des juridictions d’exception sous les prétextes les plus fallacieux. Je sais aussi que l’être humain ne peut être enfermé à jamais, dans un état préétabli de dangerosité. L’avocat et le législateur que je suis est habité de cette même espérance dans la finalité que tout individu est amendable et invité quel que soit son passé, à participer à l’œuvre universelle de la création et de l’utilité individuelle mise au service d’une cause plus grande qui le dépasse. Au-delà des jugements hâtifs, le projet de loi adopté nous invite à rechercher ensemble les moyens les plus justes de concilier protection, sanction et espérance !
Michel HUNAULT, le 11 Janvier 2008
Député de Loire-Atlantique