Audition par la Mission d’information sur les questions mémorielles de M. Serge Klarsfeld, écrivain, historien, président de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France

Catégories: Assemblée Nationale, Droits de l'Homme, Interventions en réunion de commission

Compte rendu

Mission d’information sur les questions mémorielles

Mardi 13 mai 2008

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 4 

Audition de M. Serge Klarsfeld, écrivain, historien, président de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France et Vice-président de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, et de son épouse, Béate Klarsfeld 

Présidence de Bernard Accoyer Président, puis de Catherine Coutelle Vice-présidente,

M. Michel Hunault : Je salue à mon tour l’immense travail accompli par M. et Mme Klarsfeld.

L’objectif de cette mission est particulièrement difficile, comme en atteste le tollé suscité par le souhait du Président de la République visant à faire parrainer les enfants juifs déportés par les écoliers de France. Alors que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a par exemple fêté le soixantième anniversaire de la libération des camps lors d’un hommage très émouvant voilà un peu plus de trois ans, comment maintenir l’exigence de mémoire auprès des jeunes générations ?

 ……

M. Serge Klarsfeld : S’agissant des questions pédagogiques, la mémoire juive peut être utile aux autres mémoires singulières de la France puisque les parents des Juifs français venaient eux aussi, pour la plupart, de pays étrangers. Chacun doit pouvoir faire état de son expérience. Les enseignants devraient demander aux élèves quelles sont leurs origines géographiques et s’appuyer sur elles pour enseigner l’Histoire. Je veux bien que l’on continue à parler de « nos ancêtres les Gaulois » ou des Gallo-romains mais cela n’empêche pas de se référer aux autres origines. En reconnaissant cette diversité, la France témoigne de sa puissance dans le monde entier. Les politiques ont un rôle à jouer en la matière, en particulier, le Président de la République et le ministre de l’éducation nationale.

Les « Malgré-nous » ont quant à eux suscité bien des questions que je ne suis pas à même de résoudre. La réglementation leur a été assez indulgente – il y a eu aussi des engagés volontaires, ne l’oublions pas ! Peut-être serait-il possible de leur donner satisfaction à l’échelle franco-allemande ? Le titre de pupille de la nation ne confère rien de particulier, d’autant que les enfants des « Malgré-nous » sont maintenant assez avancés en âge. Une étude universitaire et scientifique exhaustive constituerait sans aucun doute un mémorial idéal.

S’agissant de la transmission de la mémoire, si je ne suis pas inquiet sur un plan historique je le suis en revanche sur un plan politique. L’histoire de la Shoah, en effet, est aujourd’hui exemplairement connue dans le domaine universitaire, des lieux de mémoire voient le jour à Drancy ou à Rivesaltes, les visites à Auschwitz sont nombreuses. Sans doute en sera-t-il d’ailleurs de même, demain, pour le Goulag et les atteintes à la dignité humaine seront aussi bien mises en évidence dans la Russie stalinienne qu’elles l’ont été dans l’Allemagne hitlérienne. Si j’ai quant à moi connu la Gestapo de très près, des membres de ma famille, en Roumanie, ont eux connu la Guépéou. Mais qu’arrivera-t-il si un régime autoritaire d’extrême droite accède au pouvoir en France dans 150 ou 1 500 ans ? Il importe avant tout d’éviter les extrémismes de toute nature car l’enseignement du passé ne garantit pas l’avenir : si Paris venait à manquer d’eau et de vivres pendant deux jours, il s’y déroulerait des scènes atroces. Par ailleurs, la construction de l’Europe et le dépassement des nationalismes sont admirables mais les atteintes à la dignité humaine demeurent dans d’autres régions du monde. C’est aux nouvelles générations de se saisir de ces questions en bâtissant un nouvel ordre mondial.

Enfin, si je ne suis pas inquiet face au négationnisme et au révisionnisme en Europe car les travaux des historiens en ont fait justice, quid de la sensibilité de ceux qui ont vécu les camps ou qui y ont perdu les leurs ? C’est le rôle du Parlement de les protéger par la loi. J’ajoute également que, sans la loi Gayssot, les écrits négationnistes ou révisionnistes auraient pullulé ; malgré la Shoah, les brûlots antisémites étaient légion dans les années cinquante et soixante. La loi Marchandeau, en 1940, punissait déjà la propagande antisémite mais elle n’a été en quelque sorte réactualisée qu’avec la loi de 1972 contre le racisme et l’antisémitisme. La loi Gayssot a logiquement renforcé cet arsenal législatif.