Adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale

Catégories: Assemblée Nationale, Droits de l'Homme, Ethique, International, Interventions en réunion de commission

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 19 mai 2010

Séance de 11 heures 45

Compte rendu n° 61

Examen du projet de loi, adopté par le Sénat, portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale (n° 951) (M. Thierry Mariani, rapporteur)

La séance est ouverte à onze heures quarante-cinq.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission examine, sur le rapporteur de M. Thierry Mariani, le projet de loi, adopté par le Sénat, portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale (n° 951).

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. La France a signé la Convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale (CPI) le 18 juillet 1998. Le projet de loi qui vous est soumis, dont le but est d’adapter notre droit pénal à l’institution de cette juridiction, a été adopté à l’unanimité par le Sénat le 10 juin 2008.

La justice française et la CPI ont l’une et l’autre pour objectif de poursuivre, juger et sanctionner les responsables de génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Elles ont l’une et l’autre l’ambition de protéger le droit, pour les victimes, de voir leurs bourreaux poursuivis et condamnés, mais aussi le droit, pour des sociétés meurtries, de parvenir à la réconciliation, ainsi que le droit, pour l’humanité tout entière, de refuser l’oubli et l’impunité.

C’est pourquoi ce projet instaure une complémentarité effective entre les juridictions internes et la CPI, en permettant l’articulation entre les juridictions et en favorisant une application équilibrée du droit international humanitaire.

Tout d’abord, ce texte vise à articuler l’intervention de la justice française et celle de la CPI. À cet effet, il complète notre législation en matière de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes et délits de guerre.

En matière de génocide, les responsabilités sont clarifiées. Outre les auteurs de génocide, les personnes incitant publiquement à commettre un génocide pourront désormais être expressément poursuivies et sanctionnées.

La notion de crime contre l’humanité est précisée. Certains actes sont désormais expressément qualifiés de crimes contre l’humanité dès lors qu’ils sont commis « en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique », ce qui est conforme à la Convention de Rome.

Le projet tend également à renforcer notre arsenal législatif contre les crimes et délits de guerre. D’une part, il reprend les incriminations prévues par la Convention de Rome, en allant au-delà de celle-ci puisqu’il considère que les crimes et délits de guerre pourront être le fait de personnes morales aussi bien que de personnes physiques. D’autre part, les règles de prescription de l’action publique sont portées à trente ans pour les crimes et à vingt ans pour les délits.

Bien entendu, l’imprescriptibilité des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité est maintenue. La hiérarchie des sanctions est préservée, la banalisation est évitée.

J’en viens aux équilibres que la complémentarité des juridictions impose de respecter.

La mise en œuvre de nos engagements ne saurait conduire à limiter l’efficacité du traitement par la justice des crimes visés par la Convention de Rome. À cet égard, les amendements adoptés au Sénat ont conforté les équilibres du texte.

S’agissant tout d’abord des notions juridiques retenues, il était important de n’introduire de précisions nouvelles qu’en cas d’insuffisance des dispositions existantes. Nos catégories juridiques nous permettent en effet de lutter contre un grand nombre de faits visés par la Convention. Dans certains cas, le recours à des notions issues du droit de common law peut être éclairant. Je pense à la notion de « plan concerté » dans la définition du génocide. Il peut aussi être redondant ou équivoque. C’est le cas de la notion d’« esclavage sexuel », puisque notre droit comporte les incriminations de viol, agressions sexuelles, proxénétisme et traite des êtres humains.

Un équilibre est également trouvé dans la mise en œuvre de la compétence universelle. Le Gouvernement est déterminé à élargir les possibilités de poursuite des auteurs de génocide et de crime contre l’humanité ou de criminels de guerre, quelle que soit leur nationalité. Néanmoins, il est nécessaire d’empêcher l’instrumentalisation de la justice pénale française à des fins politiciennes ou idéologiques. Par ailleurs, il faut rechercher l’efficacité, et par conséquent éviter l’ouverture de procédures pour lesquelles une enquête serait, en pratique, impossible à réaliser.

Enfin, l’exigence de complémentarité nous invite à réduire le risque de concurrence entre la juridiction interne et la CPI. Le principe de la compétence universelle, donc, doit être admis en droit français, sous les réserves prévues par le Sénat.

La Convention de Rome a été signée en 1998. Il est donc plus que temps d’en tirer toutes les conséquences. Je souhaite que l’Assemblée nationale exprime sur ce texte la même unanimité que le Sénat, en montrant ainsi sa volonté de concilier la hauteur des ambitions et le réalisme des moyens. C’est ainsi que la France peut continuer à porter son message de justice et de paix. 

M. Michel Hunault. Je me réjouis que notre Commission examine ce projet, étape indispensable dans la mise en œuvre du traité instituant la CPI. C’est un grand pas sur le chemin de la constitution d’un véritable ordre juridique international en matière pénale.

Le Statut de Rome crée une cour mondiale, et surtout un mécanisme de coopération judiciaire internationale. Il repose sur les deux piliers complémentaires que sont la CPI, saisie en cas de défaillance des justices nationales, et les juridictions internes des États parties au Statut, auxquels revient au premier chef la responsabilité de juger les auteurs de crimes internationaux.

Je salue l’action de la Coalition française pour la CPI, qui s’est employée à faire en sorte que ce texte vienne en discussion. Elle avait manifesté ses préoccupations au sujet des amendements qui ont été votés par le Sénat : le rapporteur vient d’y répondre point par point. Je souhaite que nous exprimions maintenant un vote conforme, faute de quoi l’adoption de ce texte serait reportée sine die.